La ligne de partage des temps

          

Ces lignes sont extraites de l’introduction de « Raison et religion » par Léon Brunschvicg page 13 :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/raison_et_religion/raison_et_religion.html

« Mais c’est ici que Descartes intervient pour se répondre à lui-même. Le Discours de la méthode, qui marque dans l’histoire de l’esprit humain la ligne de partage des temps, est un traité de la seconde naissance, non plus du tout le rite de passage, la cérémonie d’initiation, qui voue l’enfant à l’idole de la tribu, mais bien l’effort viril qui l’arrache au préjugé des représentations collectives, à la tyrannie des apparences immédiates, qui lui ouvre l’accès d’une vérité susceptible de se développer sous le double contrôle de la raison et de l’expérience. Or, comment demeurer scrupuleusement et sincèrement fidèle au service unique de la vérité si l’on a d’avance entravé sa destinée par un engagement qui lie l’avenir au passé, c’est-à-dire qui détruit l’avenir en tant qu’avenir ? »

Descartes se répond ici à lui même , lui qui se vante aussi « d’être toujours resté fidèle à la religion de sa nourrice »

(c’est à dire, s’agissant de Descartes, le catholicisme)

Qui a raison ici ? le Descartes qui répond, après la ligne de partage des temps (1637) qui coïncide avec la « seconde naissance » (non plus d’un seul homme, fût ce Descartes lui même, mais potentiellement toute l’humanité chrétienne-européenne, et donc potentiellement aussi toute l’humanité), ou le Descartes d’avant la ligne ?

là encore les propos de Brunschvicg ont une vertu illuminatrice :

« De ce point de vue il apparaîtra singulièrement touchant que les Églises chrétiennes donnent l’exemple d’une sorte de Société des Religions, où soit consacré définitivement et mis en pratique le principe de la liberté de conscience. Mais, si la considération de l’avenir est l’essentiel de notre problème, nous ne pouvons pas en demeurer là. Vérité, c’est unité. Il ne suffit pas d’assurer le statut juridique de la personne et qu’il soit permis à chacun de rester, suivant le mot de Descartes où l’on a vainement voulu voir un soupçon d’ironie, fidèle à la religion de sa nourrice . L’adage renouvelé des Anciens  qui a conjuré pour un temps les ravages des guerres de religion : Cujus regio, ejus religio, est d’allure sceptique autant que d’allure pacifique. Plaisante religion, faudrait-il dire dans le style de Pascal, qu’une rivière borne, qu’un iota délimite »

et cette « lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde » nous est spécialement propice, à nous autres hommes de ce temps de « tolérance » et de « multiculturalisme ».

car la « société des religions » dont parle Brunschvicg, et qu’il attribue fort justement aux églises chrétiennes (car, n’est ce pas, que ce soit en Inde , par exemple en 1947 lors de la partition , ou bien en terre d’Islam, on entend un tout autre son de cloche), nous la voyons se réaliser sous nos yeux dans notre France laïque du 21 ème siècle.

Qui voudrait aller contre cette si belle tolérance ? certainement pas Brunschvicg, ni l’auteur de ce blog (quoique quelquefois… mais je ne veux pas livrer ici mes turpitudes, je ne suis pas assez exhibitionniste pour cela), ni Descartes.

« Il faut rester fidèle à la religion de sa nourrice » cela veut dire : les religions des nourrices, c’est à dire LES religions, au pluriel, se valent à peu près toutes si l’on en reste au plan des dogmes , ou disons au plan « théorique », parce qu’elles n’ont aucune valeur de vérité.

Ce sont aussi les religions des servantes de Thrace, qui se croient autorisées à rire d’un Thalès tombé dans un puits parce qu’il regardait les étoiles :

http://sedenion.blogg.org/date-2009-01-07-billet-951372.html

(après, bien sûr, on conviendra qu’une religion qui enseigne qu’il faut tuer l’apostat est, disons, moins « gentille » qu’une autre)

Il est donc inutile de « faire des infidélités » à sa nourrice en se convertissant à une autre DES religions.

Car cela n’a strictement aucun rapport avec la conversion véritable, qui est la conversion à la Raison, à la philosophie , et à la dimension d’universalité de la recherche de la Vérité.

Conversion dont Marie-Anne Choquet a donné le plan précis, d’après l’oeuvre de Brunschvicg :

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/la-conversion-spirituelle/

Pourquoi, en nos temps actuels, cette épidémie de prétendues « conversions » à des spiritualités orientales, ou à l’Islam ?

tout simplement par fatigue de soi même, par dégoût de l’âme européenne telle qu’elle est devenue.

Mais certainement pas par amour de la vérité !

Le Descartes d’après la ligne a donc raison AVEC celui d’avant la ligne, parce qu’ils ne parlent pas de la même chose.

La religion sociologique, celle qu’on hérite de ses parents, est une chose , LA religion véritable, la philosophie, en est une autre !

Il faut choisir : soit on fait de la philosophie, soit on fait de la sociologie.

Seulement la conversion véritable, spirituelle, ne réclame nullement que l’on se « débaptise » dans un geste spectaculaire, c’est à dire infantile.

La seule nécessité, sous peine de dire et de faire n’importe quoi (ce qui arrive souvent aujourd’hui) est de ne pas confondre les deux plans : particulier (ethnique et sociologique) et universel (recherche rationnelle de la vérité).

qu’on le veuille ou non, Descartes est la Porte : sans lui, pas de Spinoza, pas de Malebranche, pas de Brunschvicg !

Une réflexion au sujet de « La ligne de partage des temps »

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