Brunschvicg : la vie religieuse et le renoncement à la mort

« L’introduction à la vie de l’esprit« , ouvrage important datant de 1900, est l’un des seuls qui ne soient pas (encore ?) accessibles gratuitement sur le web (à ma connaissance en tout cas).

Mais son dernier chapitre, « La vie religieuse », figure comme article de la Revue de métaphysique et de morale de 1900, je l’ai recopié ici :

https://leonbrunschvicg.wordpress.com/?attachment_id=31

le texte diffère légèrement par rapport à celui du livre définitif, mais la fin, si remarquable et « frappante », en est la même, j’en extrais ces quelques lignes éparses :

l’univers est bon, absolument bon, du moment que nous savons le comprendre; car nous sommes maîtres de n’y voir que ce qui s’unit à nous

il n’est pas au pouvoir de la souffrance physique ou de la douleur individuelle d’usurper sur l’esprit”

 affirmation qui peut sembler scandaleuse aux yeux de ceux qui souffrent, et surtout de leurs proches, mais dont une démonstration a été donnée par Brunschvicg lui même dans les dernières années de sa vie, de 1940 à 1944, passées dans la clandestinité :

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/le-destin-dun-philosophe-sous-loccupation/

Rien ne peut interdire à l’intelligence de rencontrer dans le monde uniquement ce qui est fait pour elle, la loi d’où naît la vérité. Il n’y a pas d’évènement quelqu’inattendu qu’il soit , quelque contraire à nos tendances personnelles, qui ne serve à enrichir le domaine de notre connaissance.

Nous n’avons à redouter d’autre ennemi que l’erreur; et l’erreur, si nous savons l’avouer avec sincérité et nous en délivrer scrupuleusement, ne fait qu’augmenter le prix de la vérité définitvement possédée.

Rien ne peut empêcher la volonté de rencontrer dans le monde uniquement ce qu’elle cherche, l’occasion de se dévouer à l’intérêt supérieur de l’humanité; elle n’a rien  à craindre, hors ses propres défaillances.”

Les obstacles qu’on dresse devant nous, les haines qui nous sont manifestées, ne servent qu’à purifier et à approfondir notre amour des hommes

Brunschvicg faisait sans doute allusion, en parlant de ces “haines”, à l’affaire Dreyfus, encore toute “fraîche” en 1900. Il ne pouvait pas savoir qu’il devrait affronter ces mêmes haines en 1940 avec l’arrivées des nazis, et qu’il serait chassé de son bel appartement parisien, que sa belle bibliothèque serait pillée…

Une fois que nous avons rempli l’univers de notre esprit..”

(à la fin des temps, qui par définition ne se situe pas dans le temps historique)

il est incapable de nous rien renvoyer si ce n’est la joie et le progrès de l’esprit.

Et dés lors, ce que nous avons dit de l’univers, il faut le dire aussi de la vie.

La vie est bonne absolument bonne, du moment que nous avons su l’élever au dessus de toute atteinte, au dessus de la fragilité, au dessus de la mort.

La vraie religion est le renoncement à la mort;

elle fait que rien ne passe et rien ne meurt pour nous, pas même ceux que nous aimons; car de toute chose, de tout être qui apparaît et qui semble disparaître, elle dégage l’idéal d’unité et de perfection spirituelle, et pour toujours elle lui donne un asile dans notre âme

( Gabriel Marcel ne prenait pas au sérieux ces lignes, lors d’un colloque où Brunschvicg lui avait suggéré que “Mr Brunschvicg accorde sans doute beaucoup moins d’importance à sa propre mort que Mr Gabriel Marcel”, il avait répondu du tac au tac :

et la mort de Mme Brunschvicg ?” )

alors, vivant dans notre idéal, et nous en entretenant avec nous mêmes, nous connaissons le sentiment de sécurité profonde, et de repos intime qui est l’essence du sentiment religieux, et qui n’est autre que la pureté absolue de l’esprit

cette définition du véritable sentiment religieux rappelle les ouvrages si beaux de Pétrarque : « Traité de la vie solitaire » et « Le repos religieux ».

Nous avons là un parfait exemple d’humanisme qui ne se dégrade pas en (possibilité de) nazisme (car reposant sur une définition de l’homme, cet être indéfinissable puisque c’est lui qui donne les définitions).

 

le « renoncement à la mort » est cette possibilité inouïe offerte à ceux qui ont définitivement transcendé tout attachement à la personne propre.

Il « remplace » et annule les « croyances » en une « immortalité » dans un au-delà illusoire.

Et les lignes prodigieuses que nous avons recopiées supra ne peuvent se comprendre qu’en tenant compte de celels qui précèdent (pages 20 et 21 notamment) qui opposent la vie religieuse véritable, dont l’essence est la liberté, aux conformismes sociaux que sont les cultes :

« l’organisation temporelle de ce qu’on a pris coutume d’appeler LES religions, en même temps  qu’elle a interdit à la plus grande partie de l’humanité l’intelligence de LA religion, a rendu singulièrement complexe la pratique de cette vertu religieuse qui est la tolérance »

« devant cette négation de l’esprit , la tolérance se transforme et devient : intolérance de l’intolérance. »

« au dessus des conceptions particulières auxquelles les générations successives ont adhéré, elle élève cette vérité universelle que la religion est l’oeuvre de l’esprit vivant et qu’elle est inséparable de la liberté…elle exclut non pas ce qui est exclusif de telle religion déterminée, mais ce qui est exclusif de toute religion possible, à savoir la lettre, le rite, le costume, l’extérieur qui est la part du corps et ne concerne point l’âme..

un mystère peut s’opposer à un autre mystère, une tradition contredire une autre tradition; mais entre les mystères et la lumière, entre les traditions et l’intelligence, il ne peut y avoir de conflit : par sa seule présence, l’intelligence dissout les traditions comme la lumière dissipe les ténèbres; du tombeau elle fait surgir la vie« 

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