Archives du mot-clé Platon

le principe d’immanence et la philosophie comme connaissance intégrale

comme vu dans l’article précédent :

https://leonbrunschvicg.wordpress.com/2012/09/24/roger-verneaux-histoire-de-la-philosophie/

Brunschvicg n’a pas varié d’un pouce au cours de sa longue vie philosophique sur ce « principe d’immanence », comme l’appelle Roger Verneaux (qui ne l’accepte pas) , qui est posé dès le début de sa thèse dans « La modalité du jugement » :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/modalite_du_jugement/modalite_du_jugement.html

autant examiner le texte complet du passage où figurent les lignes célèbres citées par Verneaux , il se situe dès le début du chapitre 1.

« Tandis que, dans une science déterminée, le savant étudie, suivant une méthode qui lui est imposée à l’avance, un objet dont il a admis à l’avance l’existence, le philosophe doit commencer par découvrir l’objet et la méthode de sa recherche, objet toujours nouveau, méthode toujours nouvelle, en ce sens qu’il lui demeure toujours possible d’en fournir une démonstration originale et plus profonde. C’est que la philosophie veut être une connaissance intégrale : or une connaissance ne peut espérer de devenir intégrale qu’à la condition de pouvoir sans cesse élargir son objet et perfectionner sa méthode. »

la philosophie n’est pas la science, bien que celle ci en soit, pour employer un lexique cher à Badiou, la « condition », puisque la philosophie est la réflexion intellectuelle sur la science….(mais aussi sur l’art, il est vrai)

Brunschvicg va ensuite s’attacher à expliciter cette notion de « connaissance intégrale » , et explique pourquoi elle amène nécessairement la philosophie à évoluer du stade métaphysique de l’ancienne ontologie (attachée à la poursuite naïve de l’objet total) au stade critique :

« Que sera cette connaissance intégrale ? Ce sera, semble-t-il, la connaissance de l’objet total. Les premiers métaphysiciens se sont, en effet, attachés à l’objet pour le déterminer comme total ; mais l’impossibilité d’atteindre à un résultat stable dut convaincre l’esprit que non seulement le problème ainsi posé dépassait la puissance de l’intelligence humaine, mais qu’il était même incompatible avec sa nature. Comment être sûr, en effet, que l’objet était directement atteint, était absolument objet, alors qu’on faisait abstraction de la connaissance que nous en prenons ? Avant de prétendre juger une oeuvre étrangère, il faut en avoir fixé la traduction ; avant de discuter sur l’objet, il faut en posséder la connaissance intégrale. Dans l’ordre philosophique, l’intuition de l’objet suppose la réflexion sur cette prétendue intuition. Bref, la philosophie qui était une ontologie, devint la critique, c’est-à-dire que l’être en tant qu’être cessa d’être une idée philosophique, puisque c’est par définition même la négation de l’idée en tant qu’idée. »

et c’est alors que les lignes , citées par Verneaux, où se trouve enchâssé le dit « principe d’immanence » , arrivent tout naturellement :

« La spéculation philosophique, étant un genre de connaissance, ne peut décider que de l’être en tant que connu, ou, mieux encore, puisqu’elle pose d’une façon absolue le problème de la connaissance, elle juge la connaissance en tant qu’être. De ce point de vue auquel il faut que l’esprit s’accoutume lentement et laborieusement, la connaissance n’est plus un accident qui s’ajoute du dehors à l’être, sans l’altérer, comme est devant un objet un verre parfaitement transparent ; la connaissance constitue un monde qui est pour nous le monde. Au-delà il n’y a rien ; une chose qui serait au-delà de la connaissance, serait par définition l’inaccessible, l’indéterminable, c’est-à-dire qu’elle équivaudrait pour nous au néant. »

Et il vaut la peine de lire dans la foulée la suite, qui explicite cette thèse et la rend parfaitement claire :

« La philosophie procède par concepts ; or un concept n’enferme intégralement qu’un autre concept. L’intelligence. n’est transparente qu’à l’intelligence ; la seule certitude peut être objet de certitude. Toute doctrine par conséquent qui présenterait une faculté non représentative, le sentiment ou la volonté, comme supérieure à la représentation et comme indépendante d’elle, sera une doctrine non philosophique. Elle pourra exprimer une grande vérité religieuse ; elle pourra avoir une grande efficacité morale ; mais elle ne sera pas susceptible de justification rationnelle, et elle sera reléguée à bon droit parmi les doctrines qualifiées de sentimentales, de mystiques, ou de tout autre nom qui en marque le caractère irrationnel. »

et ensuite Brunschvicg précise la distinction capitale entre philosophie et science, et caractérise cette « connnaissance intégrale » qu’est la philosophie comme « connaissance de soi » (Socrate !), comme connaissance réflexive de l’activité intellectuelle (la réflexion étant, comme l’a montré Robberechts, la méthode même du spinozisme) :

« dans toute étude d’ordre scientifique, l’esprit qui connaît et l’objet qui est à connaître sont en présence l’un de l’autre, tous deux supposés fixes et immuables. Si l’esprit de l’observateur était altéré par l’observation même, si la loi des phénomènes pouvait être modifiée au cours de l’expérience, il n’y aurait plus de place pour une vérité scientifique. Aussi l’étude de la connaissance, quand elle veut procéder d’une façon scientifique, doit-elle se donner à elle-même un objet qui puisse être mis en quelque sorte à l’abri de toute modification survenant au cours même de l’observation et due au caprice de l’observateur ; par exemple, elle enferme la pensée dans le langage qui, par hypothèse au moins, l’enveloppe et la moule exactement ; c’est à travers les formes du langage qu’elle étudie les lois de la pensée, et ainsi c’est à bon droit qu’une telle science peut prétendre à l’objectivité. Mais, à cause de cette objectivité même, cette science n’épuise pas la connaissance de la connaissance. Elle repose, en effet, sur un postulat, parce qu’elle est une science et que toute science implique ce postulat nullement négligeable qui est le savant. Or le savant peut, et doit, s’étudier lui-même. Alors il met en question ce qui était le postulat de la science, c’est-à-dire qu’il franchit les limites de la science pour essayer d’atteindre à la réflexion philosophique. Au regard de cette réflexion, l’analyse de la connaissance est toute différente de l’analyse scientifique que nous présentions tout d’abord

Dans cette science objective de la connaissance, il. était permis au savant, psychologue ou philologue, de comparer les différentes phases par lesquelles passait l’enfant et de suivre l’évolution de son esprit depuis le jeu automatique de la conscience spontanée jusqu’au mécanisme du raisonnement le plus abstrait ; c’est là une question d’ontogenèse, l’étude d’un enfant par un adulte, analogue à celle de l’embryologie. Mais s’ensuit-il que, philosophiquement, la pensée d’un savant lui-même, la pensée rationnelle, ait pu naître à la suite d’une pareille évolution ? qu’elle ne soit que la résultante de sensations et d’associations ? Posée en ces termes, la question n’a plus de sens ; car il faudrait, pour la résoudre, que le savant se supposât lui-même disparu, et se demandât ce qu’il pouvait être avant qu’il fût, qu’il se fît à la fois, suivant l’expression platonicienne, plus jeune et plus vieux que lui-même. »

et l’idéalisme , porté par  Brunschvicg , comme le reconnaît fort justement Verneaux,  à son stade de perfection, apparaît alors, tel un fruit mûr tombant de l’arbre, comme la seule solution au problème de la philosophie conçue comme « connaissance intégrale », c’est à dire comme connaissance de l’activité de l’esprit par l’esprit lui même :

« En d’autres termes, si on a pu dire que le matérialisme est condamné par cela seul que l’organisation de l’univers, telle que l’imagine le matérialisme, ne laisserait pas de place à une doctrine de philosophie comme le matérialisme lui-même, il en est de même encore de l’empirisme, entendu comme une métaphysique : la méthode de l’empirisme suffirait pour enlever toute valeur à une philosophie empirique. Puisque la philosophie est une œuvre de réflexion, le seul objet directement accessible à la réflexion philosophique, c’est la réflexion elle-même. Tant qu’il y a disproportion entre le contenu et la forme, entre le système et la méthode, il ne peut y avoir de connaissance intégrale. Pour qu’il y ait une telle connaissance, il faut que l’esprit s’engage tout entier dans la solution du problème. L’esprit ne se donne plus un objet qui soit fixe et qui demeure posé devant lui ; il cherche à se saisir lui-même dans son mouvement, dans son activité, à atteindre la production vivante, non le produit qu’une abstraction ultérieure permet seule de poser à part. Au-delà de l’action qui en est la conséquence éloignée, au-delà des manifestations encore extérieures que le langage en révèle, c’est jusqu’à la pensée que la pensée doit pénétrer. L’activité intellectuelle prenant conscience d’elle-même, voilà ce que c’est que l’étude intégrale de la connaissance intégrale, voilà ce que c’est que la philosophie.

Ainsi une philosophie intellectualiste peut être une philosophie de l’activité ; elle ne peut être véritablement intellectualiste qu’à la condition d’être une philosophie de l’activité. »

et enfin, le sage enfonce un « clou » définitif (façon de parler bien sûr) qui premettra ensuite de comprendre la distinction de la raison comme langage et de la Raison comme Verbe , « logos endiathetos » ; la nature religieuse de la philosophie est donc au coeur de cet idéalisme, qui ne peut vivre qu’en se distinguant dès le départ de tout mysticisme (comme c’était aussi le cas chez Spinoza, mais de manière certes moins claire) :

« Seulement, au lieu de choisir arbitrairement un type d’activité et de vider cette activité de toute espèce de contenu intelligible, de sorte qu’il ne puisse plus y en avoir que des symboles aveugles, elle conçoit cette activité sur le seul type qui soit accessible à l’intelligence, et qui permette, par suite, d’assigner à l’activité sa raison d’être, sur le type de l’activité intellectuelle. De même, elle ne refuse pas de considérer les paroles qui expriment au dehors la pensée ; mais il est vrai que si on s’en tenait à cette constatation extérieure, ces paroles n’auraient plus de valeur. En un mot, si elles prétendaient se suffire à elles-mêmes et se passer de principes intelligibles, la science de la pratique se confondrait avec le mysticisme, comme la psychologie empirique avec le verbalisme. C’est à la philosophie, telle que nous l’avons définie ici, qu’il appartient de donner la lumière à l’une, à l’autre le mouvement. »

la seule activité accessible à l’intelligence, c’est sa propre activité !

le caractère mathématique de la physique découle de là …

Il faut toujours revenir à ces lignes (et à ce livre) dès que l’on se sent prêt, par fatigue ou fascination pour les mystiques, ou les philosophes thomistes ou averroïstes, à céder et reculer d’un pouce et à transiger sur la nature de l’idéalisme philosophique, qui doit demeurer de manière intransigeante l’idéalisme mathématisant : puisque les idées mathématiques sont le modèle même des idées, où il n’y a aucune distance entre « celui qui réfléchit sur son activité » et cette activité elle même !

 

 

 

Le Dieu de la réflexion autonome et le Dieu de la tradition ethnique

Dans sa réponse aux objections de Gilson lors de la « querelle de l’athéisme » de1928 que nous avons déjà commencé à méditer, Brunschvicg aborde plusieurs des thèmes que nous avosn abordés récemment, la conception de la vérité mathématique et l’incompatibilité entre le Dieu des religions (monothéistes) et le Dieu des philosophes :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/vraie_et_fausse_conversion/vraie_et_fausse_conversion.html

page 192 et suivantes :

« Le philosophe, en allant au bout de sa pensée, en imposant au principe de communion qui est intelligence et amour une condition stricte de vérité spirituelle, ne risque-t-il pas de briser ce principe lui-même, sinon dans sa raison d’être éternelle, du moins dans son efficacité immédiate ? La philosophie fait-elle œuvre salutaire, lorsqu’elle dissout l’amas de traditions et de légendes qui maintiennent la cohésion d’une société donnée ? »

la réponse est OUI, et si les abrutis qui manifestent actuellement , en tuant des innocents, contre un film d’une médiocrité absolue qui vise seulement à la provocation , avaient un tant soit peu d’intelligence, ils s’en prendraient plutôt… aux philosophes, bien plus dangereux pour l’idolâtrie des dogmes que des dessins ou des films blasphémateurs.

sauf que les philosophes véritables dont parle ici Brunschvicg n’existent pratiquement plus de nos jours.

Mais ils ont existé, Brunschvicg cite Platon et Fichte, en signalant toutefois leur manque de courage pour aller jusqu’au bout, sans concession aucune aux traditions et mythologies :

« Sur ce point, les penseurs qui ont le mieux défini les conditions d’un idéalisme authentique, l’auteur du livre VII de la République et l’auteur de la première Wissenschaftslehre ont senti leur courage fléchir. Platon a consenti à la mythologie du Phèdre et du Phédon, à ce récit d’une chute initiale et à cette espérance d’une immortalité psychique, qui ont été promus plus tard à la dignité de dogmes. Fichte s’est résigné à dégrader le Verbe dans le plan biologique, à faire du savoir quelque chose de second par rapport à l’Être du Non-Savoir. J’ai cherché par contre, ce qui arrive au XXe siècle, après trois siècles de civilisation, pour un philosophe qui résiste à une tentation dont je suis le premier à dire qu’elle est une tentation humaine, trop humaine. Et ici je me suis trouvé en face de l’alternative que vous n’acceptez pas : ou sociologie ou philosophie — le Dieu d’une tradition ethnique ou le Dieu de la réflexion autonome. »

tous deux ont cédé à la tentation de « dégrader le Verbe » (symbolisé par le Christ) dans le plan biologique ou psychique : or le spirituel est au dessus de la matière, de la vie, et de l’âme (psyché), matière et vie qui sont la « fatalité qui s’impose à nous » selon Brunschvicg.

Et Pascal dans tout ça ?

Pascal que Brunschvicg a tellement admiré toute sa vie qu’il a consacré une grande partie de celle ci à l’édition de ses oeuvres…

et pourtant ils s’opposent comme le jour et la nuit !

pas si sûr !

car  Pascal  remplit un rôle très précis dans l’économie de la pensée religieuse brunschvicgienne :

« J’ai donc fait usage des paroles de Pascal, parce qu’elles devaient me servir, plus que toute autre, à mettre en lumière l’objectivité du problème qui domine la conscience religieuse depuis que science et philosophie ont repris une signification claire et distincte.

Je n’ai naturellement pas à rechercher ici dans quelle mesure la pensée de Pascal peut se réduire à l’interprétation de l’Ancien Testament. À moins que le mysticisme ne soit rien de plus que la participation à des représentations collectives, Pascal n’est point du tout un mystique : nul ne s’est davantage refusé à la certitude et à la joie de la vie unitive qui passerait, fût-ce dans un moment d’extase, par-dessus la nécessité de l’exercice et nous donnerait l’illusion la plus dangereuse pour le salut, celle d’avoir franchi dès ici-bas la distance entre le jugement de Dieu, toujours suspendu dans sa terrible incertitude, et l’indignité radicale de la créature. »

Pascal n’est pas un mystique, contrairement à ce qu’affirme Michel Serre qui disait l’autre jour sur France Info que Pascal est la preuve vivante que l’on peut être à la fois un grand scientifique et un grand mystique.

Pascal est quand même, d’une certaine façon, « du côté » de Brunschvicg en ce qu’il refuse de céder sur la nécessité continuelle de l’effort qui est proprement la religion philosophique.

C’est, peut être, le sens philosophique (?) de l’aventure de Moïse qui meurt avant d’entrer en Terre Promise.

La Terre promise, ce serait l’épiphanie de la vérité, qui ne viendra jamais comme le dit Badiou.

La vérité c’est l’effort vers la vérité, la recherche de la vérité : personne ne pourra jamais se vanter de la détenir dans le creux de la main, sauf les chefs de sectes …

tel est le sens de l’idéalisme véritable :

« à l’idéal d’une création absolue telle que l’imagination la figurait en Dieu, il s’agit de substituer la réalité d’une création humaine, dans les conditions où effectivement elle est expérimentée et vérifiée. La substitution de l’idéalisme au réalisme, c’est pour moi, en dépit des mauvaises habitudes du langage vulgaire, la substitution de cette réalité à cet idéal. Si donc je regrette peu l’idéalisme de l’a priori, c’est pour la raison qui fait peut-être que vous me l’attribuez, parce qu’il est une simple contrefaçon du réalisme. Et, afin de bien vous convaincre que vous n’êtes pas en face d’une parade improvisée à vos questions, tout inattendues qu’elles sont pour moi, je me permets de vous rappeler un livre, écrit il y a bien longtemps, qui reposait tout entier sur la dualité irréductible des fonctions du Verbe : le Verbe de l’extériorité objective et le Verbe de l’intériorité intellectuelle, entre lesquelles actions et réactions incessantes provoquent le progrès de l’esprit. Je suis idéaliste, parce que l’idéalisme est la seule doctrine qui ne rencontre aucune difficulté, qui n’apporte aucune réserve, dans la définition de l’être par le progrès.

Vous voyez donc pourquoi je n’accepte pas le principe de vos objections. Pour vous, avant que les mathématiciens aient commencé leurs calculs théoriques, avant que les physiciens se soient enfermés dans leur laboratoire, il y avait, écrit quelque part, un manuel complet de mathématique absolue et de physique intégrale, un manuel dont le premier homme aurait pu avoir l’intuition immédiate, s’il était demeuré plus docile à l’ordre reçu de Dieu, et dont il est encore à espérer que plus tard, ailleurs que sur terre, quelques-uns d’entre nous obtiendront la révélation lumineuse. Et alors ce manuel, qu’aucun de nous ne possède, vous croyez pouvoir vous en servir comme d’un système sûr de référence, et vous le brandissez devant l’esprit humain pour l’enfermer dans une sorte de dilemme : ou il le connaît tout de suite dans sa totalité ou il n’en connaîtra jamais rien. Vous vous plaignez, ou plutôt vous me plaignez, parce que j’ai travaillé à une histoire de la pensée, sans avoir su justifier que la raison eût une histoire. À vrai dire, j’avais l’impression que c’était ce que j’avais fait à chacune des pages ou, si vous aimez mieux, à chacune des lignes que j’ai pu écrire. Elles tendent toutes à la démonstration d’une thèse unique : c’est dans l’histoire que l’esprit conquiert, naturellement et nécessairement, la conscience de son éternelle actualité. »

ce manuel , ce n’est autre que le « Coran céleste » : un pur fantasme !

il est vrai que même les mathématiciens lui donnent un nom , par exemple dans le très beau livre :

« Proofs from THE BOOK »

http://en.wikipedia.org/wiki/Proofs_from_THE_BOOK

http://www.iecn.u-nancy.fr/~chassain/djvu/Proofs-from-the-Book-2004.pdf

mais ce n’est justement là qu’un nom !

Penrose, Platon et les mathématiques

Le monde platonicien des idées et les mathématiques

Relisons  l’article de Brunschvicg : « De quelques préjugés contre la philosophie » :

http://www.scribd.com/doc/3611188/Brunschvicg-De-quelques-prejuges-contre-la-philosophie

« cette thèse considérée par Platon comme évidente, selon laquelle l’âme humaine ne peut contenir aucune notion qui naisse d’elle même, qui n’implique pas l’existence d’un objet, le progrès de la réflexion idéaliste a conduit à la rejeter: l’idée, en tant qu’acte de l’esprit, est indépendante de toute relation extérieure; elle porte en elle la marque de sa vérité; l’idée n’est unie qu’à l’idée et cette unification systématique fait de l’ensemble des idées un monde qui se suffit à lui même »

C’est à Spinoza que nous sommes redevables, selon Brunschvicg, de ce progrès de la réflexion idéaliste, qui est progrès irréversible de la conscience; en témoigne la proposition spinoziste :

« Les modes de la pensée comme l’amour, le désir ou toute autre affection de l’âme, ne sont pas donnés sans que dans le même individu l’idée ne soit donnée de la chose qui est aimée, désirée, etc…

Mais l’idée peut être donnée, sans qu’aucun autre mode de la pensée soit donné »

Et Brunschvicg note qu’il s’agit pour Spinoza d’un axiome philosophique, évident et intelligible par soi, mais que la philosophie des siècles suivants n’a pas admis cet axiome. D’ailleurs il admet qu’il n’existe pas en philosophie d’axiomes, de proposition en soi incontestable, que l’on soit dispensé de prouver, ou tout au moins de justifier. C’est la tâche dont il s’acquitte dans l’article : la réfutation des doctrines de penseurs très profonds, comme Pascal, Rousseau, Kant ou Schopenhauer, qui ont tenté d’élver le sentiment ou la volonté au dessus de la pure raison théorique.

Je récuse pour ma part le terme d’axiome philosophique, puisque le terme d’axiome a pris en logique et en mathématiques une signification qui ne revnoie nullement à une proposition évidente et intelligible par soi (ne serait ce que parce qu’il existe des systèmes axiomatiques divergents et concurrents). Mais il me semble que la justification opérée par Brunschvicg nous autorise, pour notre part, à en revenir à la position de Spinoza (et de Descartes ou Malebranche).

« Suivant cette proposition de Spinoza, seul, dans l’âme humaine, l’acte intellectuel, l’idée, existe d’une façon indépendante, capable de se suffir à soi même; il précède tout ce qui ressortit à l’ordre des sentiments et de la volonté, qui, dans une certaine mesure au moins, en est issu ».

Il s’agit là de la formulation la plus simple de la philosophie rationnelle. On aurait tort d’y voir un dualisme qui opposerait deux « ordres » de substances absolument existantes l’une et l’autre : monde physique des corps, et monde spirituel des esprits.  Car seul EST réellement l’esprit, ou le monde des idées, c’est à dire des actes intellectuels,  selon cette philosophie, qui est selon nous la philosophie véritable, et que nous pouvons qualifier aussi de « processus de développement du platonisme », puisque comme le note Whitehead :

« toute la philosophie (occidentale) est composée de notes en bas de page des ouvrages de Platon ».

(à quoi il convient tout de même d’ajouter que ce qui nous reste de Platon ne forme qu’une petite partie de ce qu’il avait réellement laissé à la postérité, et que la partie la plus importante de son enseignement était orale, non écrite : nous pouvons cependant avancer que dans cet enseignement oral et « ésotérique » les Nombres, et plus généralement la mathesis et la géométrie, avaient une importance cruciale)

La guerre d’idées du platonisme , c’est à dire de la philosophie donc, contre ses travestissements est éternelle, car ces derniers forment une palette très étendue, allant du mysticisme au scientisme ou au matérialisme.

Le dernier exemple en date est celui qui oppose Alain Badiou, se réclamant de Platon, et sa « dialectique matérialiste », à ce qu’il appelle le « matérialisme démocratique », et qui est le système « officiel » du capitalisme financier mondialisé.

L’opposition se situe entre deux thèses : « Il n’y a que des corps et des langages », pour le matérialisme démocratique contemporain, et « Il n’y a que des corps et des langages, sinon qu’il y a des vérités  » selon les termes de Badiou.

En fait il faut voir là le dernier avatar d’une guerre, interne au christianisme et à l’Occident, datant du concile de Nicée et même avant, entre un christianisme tronqué, limité au corps et à l’âme, et un christianisme intégral, vraiment trinitaire, selon les trois ordres du corps, de l’âme, et de l’esprit, qui a trouvé refuge en particulier dans la version orthodoxe de cette religion.

En philosophie, on retrouve une trace moderne de ces spéculations dans les trois « mondes » de Popper, ou dans ceux du physicien-philosophe  Roger Penrose :  monde physique, monde mental, monde platonicien des Idées, qui forme le thème au sens large de ce petit cours accessible sur le web :

 http://online.itp.ucsb.edu/online/plecture/penrose/oh/01.html

 

 
Tout tient dans le diagramme en page 1,  qui fait aussi l’objet du premier chapitre (« The roots of science ») de l’ouvrage récent de Penrose  : « The road to reality« , notamment du paragraphe 1.4 : « Three worlds and three deep mysteries ». L’ouvrage a été traduit en français chez Odile Jacob sous le titre : « A la découverte des lois de l’Univers« .
Les « trois profonds mystères » concernent les « flèches » du diagramme, qui possède ainsi l’apparence d’un graphe, voire d’une catégorie, que nous pourrions et devrions mettre en correspondance avec un autre graphe célèbre : celui de la Sainte trinité, Père, Fils, Esprit.
La flèche orientée du monde platonicien mathématique vers le monde physique représente l’idée de Penrose selon laquelle tous les phénomènes sont mathématisables : rien de ce qui est réel ne peut se situer en dehors de la juridiction de la science, et il n’y a de science que mathématique.
La flèche orientée du monde physique vers le monde mental est en rapport avec le problème « corps-esprit » et les théories de l’esprit, qui essayent d’expliquer l’émergence du mental à partir de la réalité physique. Certains appellent ceci « matérialisme » mais c’est ambigu, « physicalisme » vaudrait mieux.
Enfin la flèche orientée du monde mental vers le monde platonicien mathématique traduit le fait que selon Penrose aucune notion mathématique (aucune Idée platonicienne) n’est au delà du pouvoir de compréhension de la Raison humaine (et non humaine d’ailleurs, il n’y a qu’UNE Raison).
Penrose laisse cependant ouverte la possibilité d’un diagramme différent où les flèches ne traduiraient pas une inclusion totale : il pourrait y avoir dans ce nouveau diagramme des Idées absolument au delà de l’intelligibilité humaine-rationnelle, des phénomènes physiques au delà de l’intelligibilité mathématique, et des « entités mentales » sans support physique (les « anges » de la scolastique par exemple).
Mais Penrose avoue clairement sa préférence pour le premier diagramme (ce qu’il appelle modestement ses « préjugés »).
Le diagramme possède alors l’apparence du serpent « ouroboros », qui se mord la queue , d’un circuit qui tourne indéfiniment, la Roue cosmique en quelque sorte : flèche 1 —> flèche 2 —-> flèche 3 —–> flèche 1     etc…
Selon Penrose cela recouvre, pointe vers, un mystère plus profond que les trois mystères qu’il a décrits, touchant au fait que les trois « mondes » ne sont pas séparés, ne font qu’UN, une Vérité suprême et unitive dont nous ne possédons qu’un faible pressentiment à l’heure actuelle. Cela rejoint les conceptions de Brunschvicg à propos de l’unité de l’UN, terme asymptotique de l’ascension de l’âme humaine vers l’Esprit pur qui s’appelle « philosophie ».
A la fin de ce chapitre 1 « Aux sources de la science », au paragraphe 1.5, Penrose se réfère explicitement à une autre trinité, la triade platonicienne du Vrai, du Beau et du Bien :
« Je n’ai envisagé la notion platonicienne du « monde des formes idéales » que dans le sens limité des formes mathématiques. Or un aspect essentiel en mathématiques est l’idéal de vérité. Platon lui même aurait insisté sur l’existence de deux autres idéaux absolus et fondamentaux, le beau et le bien. Je suis tout à fait prêt à admettre l’existence de tels idéaux, et à étendre le monde de Platon de telel sorte qu’il contienne des absolus de cette nature ».
(on pourrait tracer ici une correspondance avec les trois critiques kantiennes : celle de la raison pure pour l’idéal de vérité, celle de la raison pratique pour le bien, et celle du jugement pour le beau)
 Il est difficile d’être plus clair ici que Penrose, et nous ne pouvons qu’acquiescer et essayer de nous inspirer, si toutefois nous le pouvons, de cet esprit extraordinaire, exemple trop rare à notre époque d’un savant qui est aussi philosophe (aux  côtés d’un Einstein par exemple, ou d’un Bernard d’Espagnat).
Il ne s’agit en aucun cas d’une dictature d’ordre scientiste des mathématiques, mais , pour nous en tout cas, d’essayer d’accéder au monde spirituel, au « monde des idées », seul vraiment réel, en utilisant l’échelle de la mathématique. 
Cette approche est donc très différente de celles des scientifiques, qui utilisent les mathématiques comme un instrument, voire un langage, ou de celles des amateurs de maths qui les considèrent comme un « hobby ».
Elle se rapproche de celles de bien des philosophes, qui au cours de l’histoire furent conscients du caractère paradigmatique de la discipline mathématique pour la philosophie, à commencer bien sûr par Descartes et Spinoza : dans la pensée de ce dernier, la connaissance du second genre, qui fournit un « pont » vers la pure connaissance intuitive du troisième genre, est de l’ordre de la mathesis, comme cela est clairement expliqué dans l’Ethique.
Mais on pourrait aussi penser à Christian Wolff, qui fut d’ailleurs professeur de mathématiques, et ses considérations sur la « pensée solide » qui est celle des mathématiques, et qui doit devenir l’idéal de toute métaphysique systématique.
J’ajoute que l’on peut aussi trouver des points communs avec les approches ésotériques, comme celle de l’anthroposophie. Mais celles ci sont ici comme « élaguées » de tout ce qui peut s’avérer confus, ou « mystique » : ainsi par exemple le « monde spirituel » de l’anthroposophie est rabattu sur le « monde des idées », absolument immanent, dont parle Brunschvicg et qui est aussi le monde platonicien de Penrose.
Il me semble que l’on peut interpréter dans un tel cadre les notions guénoniennes de « petits » et « Grands Mystères ».
Les « petits mystères« , c’est l’accès au « monde platonicien » de Penrose par le biais des mathématiques : c’est prendre conscience clairement (pas de mystique « mystifiante » ici) et en toute certitude (cartésienne) qu’en manipulant les idées internes à la pensée mathématique, on s’élève au « monde commun » des initiés dont parle Héraclite, ou encore au monde spirituel qui est seul « réel » et « éternel ».
Accéder aux  « Grands mystères » , cela consisterait à résoudre , partiellement ou entièrement, les trois « mystères » dont parle Penrose, ceux de la nature essentielle des trois « liens » ou « morphismes » entre les mondes physique, mental et platonicien.
C’est donc « réaliser » par une sorte de « compréhension ultime et intuitive » (la connaissance du troisème genre spinoziste) l’unité de  l’UN.
Nous comprenons alors ce que dit Guénon : dans les « petits mystères » l’individualité humaine est conservée ; une fois traversés les « Grands Mystères » sa nature illusoire est clairement comprise.
Il y a des corps humains et des âmes humaines individuelles : mais il n’y a qu » UN Esprit, qui est « Dieu ».
Le « but » de l’évolution humaine, si l’on peut s’exprimer ainsi, que ce soit au niveau de l’espèce ou des individus, est l’ascension vers l’Esprit par « l’itinéraire de l’âme individuelle vers Dieu », pour parler comme Saint Bonaventure : accèder au monde platonicien par le monde mental.
Si l’âme individuelle ne réalise pas son identité avec l’Esprit, le « but » de la vie est manqué : l’âme meurt totalement avec le corps.
Nous reconnaissons donc là l’identité du « but final » avec ceux des voies dites « spirituelles » comme le Vedanta.
Mais la spécificité du chemin défini ici est assez claire : jamais l’autonomie intellectuelle dde la conscience n’est sacrifiée, si peu que ce soit, à des impératifs mystiques, dogmatiques ou transcendants qui seraient inaccessibles par nature à la raison.
Il me reste donc à souligner l’intérêt capital de l’ouvrage de Penrose, qui est d’ailleurs largement reconnu, voir par exemple :
 
 
et il y a même un forum (en anglais)  à propos de l’ouvrage :
 
 pour finir, ma position vis à vis du diagramme de Penrose :
je m’aligne à peu près sur ce qu’il appelle ses « préjugés », c’est à dire que j’admet que c’est la première forme du diagramme qui est valide en gros (tout en soulignant qu’il ne s’agit pas d’un véritable diagramme mathématique, au sens où il peut en exister dans la théorie des catégories par exemple, mais d’une « aide à penser »).
Comme de toutes façons je ne peux rien « prouver », ni même justifier vraiment (car il faudrait pour cela un texte bien plus long), je me contenterai de quelques précisions :
1 le lien entre « monde physique » et « monde mental » :
j’admet que toute entité « mentale » a une base physique, ou apparait en relation à une entité physique. C’est là mon « matérialisme », ou mon « physicalisme », et il est minimal comme on le voit. Quelle raison me pousse à adopter une telle position ? un motif du type « rasoir d’Ockham » (il ne faut pas multiplier les entités explicatives au delà du strict nécessaire), et aussi, dans le même ordre d’idées, le fait que si l’on admet que certains phénomènes n’ont aucune « base » (au sens le plus large qui soit) physique, cela veut dire que l’on ouvre les vannes au grand n’importe quoi, et aux discours les plus délirants. Car seule la physique, en tant que science exacte du mesurable, nous permet de vérifier tous les types d’assertion en dernier recours.
Bien entendu cela ne veut pas dire qu’il existe toujours une causalité grossière entre ordre physique et ordre mental; mais même des théories comme la survenance (pour expliquer le mental) possèdent une base physique, qui permet des vérifications.
2 lien entre monde platonicien et monde physique :
 
J’admet qu’aucun phénomène, ou « objet » , du monde physique, n’échappe à la juridiction des « formes platoniciennes » ,ou, pour paraphraser l’Evangile , « qu’aucun cheveu ne peut tomber de notre tête sans la volonté du Père »; les formes platoniciennnes sont selon Penrose des formes mathématiques, mais il admet qu’il peut y avoir d’autres types de formes (ressortissant au Bien, au Beau de Platon), et d’autres parts on doit reconnaitre que notre mathématique est encore à l’état d’enfance, et peut considérablement évoluer dans le futur (s’il en reste un). Pouvait on en 1910 imaginer l’émergence de la théorie des catégories dans les années quarante ?
Mes raisons : comme le monde platonicien est selon moi le seul véritablement « réel », comme le veut tout véritable « idéalisme », et qu’il est en quelque sorte l’Esprit, c’est à dire Dieu, où les deux autres « mondes » doivent être « résorbés » lors de l’achèvement du processus d’unification-spiritualisation qui est la tâche de la conscience humaine individualisée, on ne voit pas bien comment certains éléments physiques ou mentaux resteraient en dehors de sa « juridiction » au sens large (très large !)
3 lien entre monde mental et monde platonicien :
 
c’est ici que les questions qui se posent sont les plus ardues et d’ailleurs les plus cruciales pour le devenir spirituel de l’entité humaine (c’est à dire pour nous tous , êtres individués en une âme et un corps). Car nous savons bien que notre « corps » doit finir par se détériorer et disparaitre, mais par contre notre « conscience », notre « âme » nous semble tellement précieuse que nous nous interrogeons avec le plus d’angoisse sur son « devenir » ultime.
 Et c’est ici que j’ai le plus de mal à trancher, et cela d’ailleurs sans aucune certitude.
Doit on admettre comme Descartes que la raison humaine possède une souveraineté absolue sur son royaume, ou sur son « domaine d’exercice », mais que ce domaine possède des limites absolues en dehors desquelles cette même raison n’a plus aucun pouvoir ?
ou bien doit on suivre Spinoza et conclure à la possibilité pour la Raison humaine de s’égaler à Dieu, en une intelligibilité parfaite du Tout ?
je choisis la seconde option, comme Penrose me semble t’il (mais c’est là simplifier un peu , et il faut aller bien plus au fond de ses discussions), ou comme Hegel.
Par contre Brunschvicg ou le premier Fichte sont plus « prudents », ils refusent de même envisager la possibilité pour une conscience humaine de cesser de se trouver dans les conditions incarnées, avec les limitations qui accompagnent ces conditions…
mes raisons ? je n’en ai pas de véritablement « rationnelles », c’est bien là le pire…
disons que j’ai du mal à comprendre comment une « borne » pourrait être édifiée par la Raison en ce qui concerne l’oeuvre de la Raison… ou, pour paraphraser Blake : « you never know what is enough unless you know what is more than enough »
C’est tout le problème notamment des théorèmes de limitation et d’incomplétude (comme les théorèmes de Gödel) : on peut les voir soit comme « limites », de manière négative, soit comme marque de puissance absolue (le fait pour la raison de s’auto-limiter, de décréter quel est la « forme » de son domaine d’exercice, ses frontières, un peu comme Dieu dans le « Livre de Job » fixe ses limites à la mer).

pensée selon l’être et selon l’ Un, catégories, topoi , ensembles

Le livre de Charles Singevin :

« Essai sur l’Un »

est d’une importance cruciale en ce qu’il constitue certes un survol de toute la philosophie occidentale, c’est à dire de toute la philosophie, mais sans sacrifier la précision technique et les détails quand il le faut (disons : quand le diable n’y figure pas, dans les détails..).

J’en avais donné une recension dans un article qui est ici :

http://www.blogg.org/blog-67512-billet-retour_a_platon-683736.html

et qui pose bien le dilemne qui s’intitule aussi : passage de l’ombre à la lumière, ou de la lumière à l’ombre ?

dilemne, ou plutôt gouffre, entre l’idéalisme ancien, précartésien, celui de Platon et des Idées, et l’idéalisme moderne, explicité de la façon la plus claire par Brunschvicg , et qui consiste à quitter les « entités » de la métaphysique (l’UN, l’Etre, etc..) pour se tourner vers la seule immanence radicale à notre disposition, celle des opérations de l’esprit humain.

On voit déjà évidemment se profiler ici la discipline austère de la mathématique, puisqu’elle consiste justement en cela : ne retenir que les opérations , les « actes » de l’esprit humain, les idées plutôt que les Idées.

On ne parle donc plus de l’UN ou de l’Etre, ou alors en un sens neuf : pensée selon l’être, et pensée selon l’un.

Il s’agit donc de choisir entre la métaphysique et ses « objets abstraits », et la mathesis universalis.

Il y a bien des manières de « dépasser la métaphysique », et celle ci est bien différente de celle de Heidegger, ou de celle des analytiques ou des positivistes du Cercle de Vienne.

Singevin accorde une grande importance à la pensée de Brunschvicg, centre de son dernier chapitre avant la conclusion grandiose :

« Platonisme et vérité de la philosophie »

Oui, il faut revenir à Platon, mais pas dans le sens de Badiou.

On se rappellera ici, évidemment, ces lignes de Brunschvicg, dans son dernier ouvrage terminé deux mois avant sa mort :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/heritage_de_mots_idees/heritage_de_mots.html

« Dieu ne naîtra pas d’une intuition tournée vers l’extérieur comme celle qui nous met en présence d’une chose ou d’une personne. Dieu est précisément ce chez qui l’existence ne sera pas différente de l’essence ; et cette essence ne se manifestera que du dedans grâce à l’effort de réflexion qui découvre dans le progrès indéfini dont est capable notre pensée l’éternité de l’intelligence et l’universalité de l’amour. Nous ne doutons pas que Dieu existe puisque nous nous sentons toujours, selon la parole de Malebranche, du mouvement pour aller plus loin jusqu’à cette sphère lumineuse qui apparaît au sommet de la dialectique platonicienne où, passant par dessus l’imagination de l’être, l’unité de l’Un se suffit et se répond à soi-même. Méditer l’Être nous en éloigne ; méditer l’unité y ramène. »

Il s’agit donc de quitter l’ontologie pour passer à ce que l’on appelle hénologie, et que nous appelons nous mathesis.

En identifiant carrément l’ontologie avec la mathématique, Badiou se barre la route vers ce que je propose pour la tâhce principale de la philosophie à venir :

déterminer exactement la séparation entre pensée selon l’être (plutôt que pensée de l’Etre selon les modalités heideggeriennes) et pensée selon l’Un (plutôt que pensée de l’Un qui s’autoréfute immédiatement puisque pour penser l’UN il faut être un humain, et donc être différent de l’Un que l’on prétend penser).

Et pour cela se tourner vers la pensée mathématique, qui possède quand même une experttise sur les opérations du « compte-pour-un »

commençons notre « examen »de la pensée mathématicienne, à propos de l’Un et de l’Etre, de la manière la plus « simple » possible , qui est aussi celle suivie par Badiou dans « L’Etre et l’évènement » : la théorie des ensembles.

Nous pouvons adopter la même attitude que Badiou au début de « L’être et l’évènement »  pour éviter le supplice pervers de « tourner indéfiniment » dans le tourniquet des hypothèses du « Parménide » :

L’UN n’est pas

seulement en traduisant ceci, selon ce dont nosu avons convenu dans l’article précédent, en :

la pensée selon l’Un n’est pas la pensée selon l’être

méditer la question de l’être mène irrémédialbement au multiple, à l’autre que l’UN, à travers les étants, qui se disent de plusieurs façons, comme au début de l’Introduction à la métaphysique de Heidegger.

Un oiseau, un animal, un être vivant, ou bien une chose fabriquée, ou une pierre, ou un signe, ou un symbole, tout cela EST : l’Etre est l’autre que l’UN, l’ontologie est donc forcément la science du multiple pur, en cela Badiou a raison.

Dans la théorie des ensembles, le multiple, ce sont les éléments d’un ensemble :

x ∈ A

y ∈ A

etc.. : x et y sont éléments de l’ensemble A

dans la théorie pure, axiomatique , des ensembles, x et y sont à leur tour des ensembles, il n’y a pas d’éléments de base, de niveau zéro, puisqu’il n’y a qu’une seule notion, celel d’ensemble

http://en.wikipedia.org/wiki/Set_theory

Badiou enchaîne, comme on le sait , par :

l’UN n’est pas, mais il y a de l’un, ou encore : l’ un est le « compte-pour-un » qui enchaîne les éléments d’un ensemble à former une collection, un tout : cet ensemble justement

Un autre multiple qui apparaît est ce que Badiou appelle la représentation,à  savoir l’ensemble des parties d’un ensemble A, noté :

P(A)

un ensemble X est une partie de A, ou un sous-ensemble de A :

⊆  A

si tout élément de X est élément de A :

x ∈ X  implique  x ∈ A

le multiple  est donc dans la présentation (les éléments) ou la représentation (les parties, les sous-ensembles) d’un ensemble : penser selon l’être dans la théorie, ou la catégorie, des ensembles, c’est penser la présentation des éléments et la représentation des parties.

penser selon l’un, c’est penser le compte-pour-un qui fait que l’ensemble A est un ensemble « regroupant », ou « contenant » ses éléments, et ses parties.

Mais bien entendu, l’UN ne pourra être un ensemble, même l’ensemble de tout, c’est à dire en théorie des ensembles l’ensemble de tous les ensembles : car il est possible de démontrer facilement , à partir des paradoxes comme celui de Russell , qu’un tel ensemble est une notion inconsistante.

Formons en effet le concept des « ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux mêmes, qui ne sont pas élément d’eux mêmes ».

C’est une notion apparemment évidente, et il faudrait ramer beaucoup pour trouver un ensemble qui est élément de lui même, et ce genre de notion est proscrit par toutes les théories « normales ».

Mais pouvons nous former la notion d’ensemble de tous ces ensembles qui ne sont pas éléments d’eux mêmes ?

appelons X cet hypothétique ensemble , de deux choses l’une :

-soit il ne s’appartient pas à lui même, mais alors il est un ensemble qui ne s’appartient pas à lui même, il est donc un élément de l’ensemble des ensembles qui ne s’appartiennent pas à eux mêmes, donc il est élément de l’ensemble de ces ensembles, qui est justement lui même, X , c’est à dire pour résumer :

si X n’est pas élément de X, alors X est élément de X

– soit il s’appartient à lui même, X est élément de X, mais alors il n’est pas un ensemble qui ne s’appartient pas à lui même, donc il n’est pas élément de l’ensemble de tels ensembles, qui est X, ou encore :

si X est élément de X, alors X n’est pas élément de X

dans les deux cas, nous aboutissons à une contradiction !

Nous pourrions dire que cette démonstration « formalise justement mathématiquement » la proposition philosophique que l’UN n’est pas.

L’Etre, ou les êtres, ce sont les éléments, qui sont toujours des ensembles.

La pensée selon l’un, c’est le compte-pour-un qui fait « tenir ensemble » les éléments d’un ensemble.

L’UN, ce serait , si l’UN était, un ensemble, l’ensemble de tous les ensembles, seulement c’est une notion incosistante, conclusion :

l’UN n’est pas.

Seulement cette démonstration s’appuie sur le fait, propre aux universels abstraits, qu’un ensemble, regroupant des objets ayant une propriété, n’a pas lui même cette propriété. Si l’universel est l’ensemble qui fait tenir ensemble ses éléments, alors cet universel est transcendant à ses « singuliers », les éléments, et à ses « particuliers », ses parties.

Or il existe une autre notion d’universel que celui de la notion ensembliste : c’est la pensée de l’universel concret, obtenue à partir de la théorie des catégories, comme on le voit dans les travaux de David Ellerman que j’ai commenté ici :

http://apodictiquemessianique.wordpress.com/universalisme-abstrait-et-concret/

http://mathesis.blogg.org/page-universalisme_abstrait_ensembliste_et_universalisme_concret_fonctoriel-747.html

http://www.ellerman.org/Davids-Stuff/Maths/Conc-Univ.pdf

« Dans la théorie platonicienne des Idées  ou formes (Eidê), toute propriété F donne lieu, est associée à un universel uF qui la représente de manière unique.

Un objet x a la propriété F si et seulement s’il « participe » à l’universel uF F(x) ↔ x μ uF  ( μ comme « metexis » est le signe de « participer ») (condition d’universalité)

Une théorie mathématique des universaux doit, en plus de cette relation binaire μ être munie d’une relation d’équivalence (cad réflexive , symmétrique et transitive) ≈ telle que l’on ait la condition d’unicité, ou plutôt d’isomorphisme :

si uF et u’F sont deux universaux associés à la même propriété F alors on doit avoir : uF ≈ u’(condition d’unicité)

Un universel est dit abstrait s’il ne participe pas à lui même : ¬ ( uF μ uF )

Il est dit concret s’il participe à lui même :  uF μ uF

On trouve dans la philosophie, et notamment chez Platon, des universaux des deux espèces, abstraits et concrets. Nous travaillerons ici à faire descendre Platon du Ciel en Terre, dans le même mouvement selon lequel Copernic avait projeté la Terre dans le Ciel : ce qui veut dire ne se soucier que des universaux concrets, à portée d’expérience et de pensée humaine, et « oublier » les formes existant « séparément », dans un monde Intelligible qui ne veut rien dire pour nous. Telle est la leçon que nous retenons de Brunschvicg et de sa réinterprétation de l’idéalisme platonicien (à la suite de Kant) et du pythagorisme (voir là dessus les deux articles à propos de « Spiritualisme et sens commun »).

Or deux théories très générales se présentent à nous en mathématiques, très différentes de par la « relation de participation » qu’elles proposent :

– la théorie des ensembles, où la relation de participation μ est la relation d’appartenance à un ensemble : ∈ ; x participe à B si et seulement si x appartient, ou est un élément, de l’ensemble B : x ∈ B

– et la théorie des catégories, où la relation de participation proposée par ellerman est celle de « factorisation unique par un morphisme », intervenant fréquemment pour définir une « construction universelle » (exemple : le produit tensoriel classique d’espaces vectoriels) :

     x participe à y si x,y sont objets d’une catégorie C et s’il existe un morphisme unique μ dirigé de x vers y : 

                                     μ :  x → y

Or les universaux ensemblistes sont abstraits, car le paradoxe de Russell a encouragé les mathématiciens à éliminer les ensembles qui s’appartiennent à eux mêmes (Badiou les retient dans l’Etre et l’évènement pour formaliser l’évènement justement, soit ce qui n’appartient pas à l’ontologie mathématique « normale » : l’évènement est une rupture du « normal »). »

Nous venons de voir plus haut, à partir du paradoxe de Russell, que dans la pensée ensembliste, qui est un « modèle mathématique » de la pensée selon l’être, de ce qui correspond à l’ontologie dans notre shcéma idéaliste, les universels, les ensembles, ne peuvent être qu’abstraits.

Mais dans la théorie des catégories, qui est un modèle, LE modèle mathématique de ce que nous appelons pensée selon l’un, les universels sont tous concrets, puisqu’un des seuls axiomes de cette théorie est que pour tout objet Y d’une caégorie, il existe toujours un morphisme identité :

« Dans la théorie des catégories, la forme même de la condition d’universalité de la participation μ :  x → y

fait que tout universel y est toujours concret. Ceci est garanti parun des axiomes de la théorie, qui est l’existence d’un morphisme identité Id pour tout objet u :

                                     Idy :  y → y« 

conclusion : dans ce type de pensée, qui est supérieure à la pensée ensembliste, comme en conviennent les mathématiciens modernes qui ont remplacé la théorie des ensembles (encore retenue par Bourbaki) par la théorie des catégories pour fonder les mathématiques , les thèses de Badiou , opposant un « évènement » modélisé par un ensemble anormal, s’appartenant à lui même, et donc proscrit par l’ontologie, à l’être des ensembles normaux, ces thèses s’effondrent.

Car dans la théorie des catégories, tous les universels sont concrets , il n’y a, en somme, que des évènements !

Ce n’est guère étonnant, puisque la pensée catégorie part des morphismes, c’est à dire des transformations, de ce qui forme la substance du changement.

Un évènement est quelque chose qui arrive, un changement : dans la pensée selon l’un, il n’y a que des changements, des évènements, qui arrivent…

******************************

les topoi

En un mot comme en cent : la toposophie consiste à utiliser la force-de-pensée (terme emprunté à François Laruelle) ou , disons,  la puissance de la pensée « solide » des mathématiques (et principalement de la théorie des topoi et des topoi supérieurs, ou n-topoi), pour fonder cette nouvelle et définitive philosophie, censée réaliser le vieux projet de Mathesis universalis cartésien et leibnizien, ou celui de « messianisme » de Wronski, en une union absolue de la science, de la philosophie et de la religion (appelée « christianisme de philosophes », et devant dépasser les logoi chrétiens et juifs en une fondation péremptoire de la Vérité sur la Terre, en une âme et un corps).

Donnons ici un premier exemple , très simple, dérivé presqu’ immédiatement des indications que j’ai données ici ou là sur l’essence fonctorielle de la loi de création de Wronski.

On sait que j’ai remplacé le vieux fatras métaphysique et « onto-théologique » de l’Etre et de l’Un par l’immanence duelle de deux orientations radicalement opposées de la pensée : selon l’Etre et selon l’Un.

J’ai aussi donné les références des travaux, extrêmement importants à mon sens, de Franck Jedrzejewski sur les diagrammes et les catégories :

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/2012/04/24/en-france-du-nouveau-franck-jedrzejewski-diagrammes-et-categories-these-et-introduction/

travaux de lecture assez « difficile » pour ceux qui ne sont pas habitués à la strict discipline du Mathème, de cette « mathématique sévère » qu’invoquait Lautréamont, mais pour lesquels nous avons heureusement une « introduction » en 6 pages très denses :

http://nessie-philo.com/Files/jedrzejewski_dcintro.pdf

notez la différence des attitudes entre les deux « femmes » qui tentent d’orienter l’Amoureux (aucun rapport avec la future ex-présidente de France et ses chansons niaises) de la Lame VI du Tarot : la femme de gauche est la mathématique sévère et austère, elle ne promet aucun vil plaisir, mais une joie continue et souveraine acquise au prix d’un travail très long et très dur : celle de droite invite l’Amoureux à  « se rendre dans une vile maison suspecte se plonger dans le bourbier des voluptés dangereuses » , pour reprendre les termes balzaciens des « Illusions perdues »…nul doute que si le Tarot était « moderne », il la représenterait seins nus, et la main tripotant l’Amoureux un peu plus bas!

Vénus des carrefours !

mais l’Amoureux (nous tous, et nous toutes, car le sexe perd sa prédominance dans le domaine de l’Esprit) est libre de choisir le sang, la sueur et les larmes, ou bien… d’autres fluides, ceux que le général Jack Ripper appelle « précieux fluides naturels » dans « Dr Strangelove » de Kubrick…

mais revenons aux topoi et aux Saintes catégories !

attachons nous ici aux deux derniers piliers de ce quadrilatère épistémique de Franck  Jedrzejewski, à savoir l’universalité et la dualité.

J’ai déjà indiqué la nature entièrement différente de l’universalisme de la pensée catégorique par rapport à celui, dérivant en matérialisme et communautarisme, de la pensée ensembliste :

http://leserpentvert.wordpress.com/universalisme-abstrait-ou-concret/

aussi me contenterai je ici de souligner la simplification et le clarification conceptuelle (sens auquel aurait dû se limiter l’Aufklärung) qu’apporte la théorie des catégories :

-la dualité consiste à inverser le sens des flèches dans une catégorie

– l’universalité (des constructions appelées « universelles » en théorie des catégories) c’est quand il n’y a qu’une seule flèche possible pour « boucler », ou « faire commuter », un diagramme.

Voir la thèse de Franck Jedrzejewski pour plus de précisions, ou bien ces liens :

http://ncatlab.org/nlab/show/universal+construction

http://en.wikipedia.org/wiki/Universal_property

mais donnons dès maintenant un exemple qui servira par la suite à de nombreuses reprises : celle des notions catégoriques généralisant le produit (la multiplication des nombres) et la notion duale de coproduit, généralisant la somme (l’addition des nombres).

http://en.wikipedia.org/wiki/Product_(category_theory)

La figure suivante est un diagramme dont la « limite » donne le produit  :

Universal product of the product
 
et la flèche f  unique (à un isomorphisme près) en pointillé faisant « commuter » le diagramme est le produit des deux morphismes f1 et f2
 
La précision « à un isomorphisme près » est importante , c’est toujours le cas pour une construction universelle; rappelons qu’un isomorphisme est tout simplement une flèche inversible :
 
« Dans une catégorie C, un isomorphisme est un morphisme f:A\to B tel qu’il existe un morphisme g:B\to A qui soit « inverse » de f à la fois à gauche (g\circ f=\mathrm{id}_A) et à droite (f\circ g=\mathrm{id}_B).Il suffit pour cela que f possède d’une part un « inverse à gauche » g et d’autre part un « inverse à droite » h. En effet, on a alors

g=g\circ\mathrm{id}_B=g\circ(f\circ h)=(g\circ f)\circ h=\mathrm{id}_A\circ h=h,

ce qui prouve en outre l’unicité de l’inverse »

la notion duale de celle du produit est le coproduit, qui appliqué aux nombres donne la somme, l’addition :

http://en.wikipedia.org/wiki/Coproduct

Coproduct-03.png
 
le produit est un exemple de la limite d’un diagramme, le coproduit un exemple de colimite :
 
signalons dès à présent une aporie entre ces notions modernes et la loi de création de Wronski appliquée aux mathématiques : selon lui, le produit est l’élément neutre, la somme et l’exponientiation sont EE et ES, or on attendrait que la somme soit duale du produit, et donc que l’exponentiation soit l’élément neutre EN
 
à creuser plus tard…
 
remarquons aussi que le terme, catégorique, de « problème universel » appartient à la terminologie de Wronski, où il désigne un objet de la loi de création…à creuser plus tard là aussi !
 

La thèse, cruciale à mon avis, de Franck Jedrzejewski, sur la dualité de l’Etre et de l’Un, prend alors selon le cadre de pensée que nous venons de définir, et qui s’appuie sur la « solidité » et la rigueur de la pensée mathématique tout en sortant du champ strictement mathématique, prend alors un sens très simple.

Nous avons défini les trois éléments primordiaux de Wronski : élément-être, élément-savoir et élément neutre comme une adjonction de foncteurs reliant deux « catégories » jouant le rôle de EE (élément-être) et ES (élément-savoir):

EE   ⇄  ES

Mais ceci n’est qu’une définition-projet, ou proposition hypothétique de définition ; nous pourrions aussi retenir tous les foncteurs entre les deux catégories.

La « pensée selon l’Un », par laquelle nous remplaçons, dans un cadre de stricte immanence, l’hénologie et l’Un « ineffable », cela consiste à retenir les foncteurs orientés de EE vers ES.

La « pensée selon l’Etre » cela consiste à inverser le sens des flèches (des foncteurs) et à ne garder que ceux orientés de ES vers EE.

Ces deux « pensées », qui remplacent pour nous les « ineffables » métaphysiques que sont l’Etre et l’Un, sont alors automatiquement duales au sens de la mathématique !

puisque la dualité, c’est quand on inverse le sens des flèches !

rappelons tout de même (deux précautions valent mieux qu’une) que nous sommes là sortis du champ mathématique : nous serions bien en peine de donner une définition mathématique des deux catégories EE et ES !

puisque ce sont là deux « éléments primitifs » au sens de Wronski, de nature transcendantale donc, et qui ne seront jamais « objets », mathématiques ou non…

mais le sens immanent de ces notions est clair :

penser selon l’Etre, c’est s’orienter de ES vers EE, donc « descendre » des niveaux « plus unifiés » vers le niveau (impensable) de la multiplicité dite « pure », ou « inconsistante ».

penser selon l’UN, c’est, au contraire, et en sens inverse (d’où notre vocabulaire mathématique-catégorique) , « monter » des niveaux « bas », pris dans le multiple, vers les niveaux « plus hauts », « supérieurs », plus unifiés.

Expliquer, donner du sens, de l’intelligibilité, c’est toujours résoudre une multiplicité en une unité (provisoire); analyser, c’est aller en sens inverse, résoudre une « unité » (apparente) en ses composantes, pour progresser en connaissances..

les deux mouvements sont nécessaires !

ceci rappelle évidemment l’interprétation que j’avais donnée, en termes disons plus poétiques (ou plutôt prosaïques) de l’Echelle de Jacob :

http://www.blogg.org/blog-30140-billet-suave_mari_magno-1121061.html

http://www.blogg.org/blog-30140-billet-le_second_degre_de_l_echelle_de_jacob___amour_universel-1121364.html

mais je préfère laisser la parole aux vrais poètes, à Lamartine et à cette immense chef d’oeuvre qu’est « La chute d’un ange » :

http://fr.wikisource.org/wiki/La_Chute_d%E2%80%99un_Ange

et à la fin, d’une beauté terrible (15 ème vision) :

A l’immobilité de ce funèbre groupe
Il reconnut la mort ! et, renversant la coupe,
Il regarda couler sa vie avec cette eau,
Comme un désespéré son sang sous le couteau !
Puis, se roulant aux pieds des êtres qu’il adore,
Et frappant de ses poings sa poitrine sonore,
Pour courir autour d’eux bientôt se relevant,
Tel qu’un taureau qui fait de la poussière au vent,
Il ramassait du sable en sa main indignée ;
Et contre un ciel d’airain le lançant à poignée,
Comme l’insulte au front que l’on veut offenser,
Il eût voulu tenir son cœur pour le lancer !

« O terre ! criait-il, ô marâtre de l’homme !
Sois maudite à jamais dans le nom qui te nomme !
Dans tout brin de ton sable, et tout brin de gazon
D’où la vie et l’esprit sortent comme un poison !
Dans la séve de mort qui sous ta peau circule,
Dans l’onde qui t’abreuve et le feu qui te brûle,
Dans l’air empoisonné que tu fais respirer
A l’être, ton jouet, qui naît pour expirer !
Dans ses os, dans sa chair, dans son sang, dans sa fibre,
Où le sens du supplice est le seul sens qui vibre !
Où de tout cœur humain les palpitations
Ne sont de la douleur que les pulsations !
Où l’homme, cet enfant d’outrageante ironie,
Ne mesure son temps que par son agonie !
Où ce souffle animé, qui s’exhale un moment,
Ne se connaît esprit qu’à son gémissement !
Tout être que de toi l’inconnu fait éclore .
Gémit en t’arrivant, en s’en allant t’abhorre !
Nul homme ne se lève un jour de son séant
Que pour frapper du pied et pleurer le néant !
Que maudite à jamais, qu’à jamais effacée,
Soit l’heure lamentable où je t’ai traversée !
Que ta fange m’oublie et ne conserve pas
Une heure seulement la trace de mes pas !
Que le vent, qui te touche à regret de ses ailes,
De nos corps consumés disperse les parcelles !
Que sur ta face, ô terre ! il ne reste de moi
Que l’imprécation que je jette sur toi ! »

Pour unique réponse à son mortel délire,
L’air muet retentit d’un long éclat de rire.
Derrière un monticule il vit de près surgir
Les fronts de cinq géants et du traître Stagyr.
« Meurs, lui crièrent-ils, vile brute aux traits d’ange !
Ta force nous vainquit, mais la fourbe nous venge.
Laissons cette pâture aux chacals des déserts ;
Sa mort nous laisse dieux, et l’homme attend nos fers ! »
Ils dirent ; et tournant le dos, ils disparurent,
Et leurs voix par degrés sur le désert moururent.

Cédar, dont leur mépris fut le dernier adieu,
A cet excès d’horreur se dressa contre Dieu.
Tout l’univers tourna dans sa tête insensée ;
Il n’eut plus qu’une soif, un but, une pensée :
Anéantir son cœur et le jeter au vent.
Comme un gladiateur blessé se relevant,
Il cueillit sur les flancs arides des collines
Une immense moisson de ronces et d’épines
Autour du groupe mort où son pied les roula,
En bûcher circulaire il les accumula ;
Puis, prenant dans ses bras ses enfants et sa femme,
Ces trois morts sur le cœur, il attendit la flamme.

La flamme, en serpentant dans l’énorme foyer
Que le vent du désert fit bientôt ondoyer,
Comme une mer qui monte au naufrage animée,
L’ensevelit vivant sous des flots de fumée.
L’édifice de feu par degrés s’affaissa.
Du ciel sur cette flamme un esprit s’abaissa,
Et d’une aile irritée éparpillant la cendre :
« Va ! descends, cria-t-il, toi qui voulus descendre !
Mesure, esprit tombé, ta chute et ton remord !
Dis le goût de la vie et celui de la mort !
Tu ne remonteras au ciel qui te vit naître
Que par les cent degrés de l’échelle de l’être,
Et chacun en montant te brûlera le pied ;
Et ton crime d’amour ne peut être expié.
Qu’après que cette cendre aux quatre vents semée,
Par le temps réunie et par Dieu ranimée,
Pour faire à ton esprit de nouveaux vêtements
Aura repris ton corps à tous les éléments,
Et, prêtant à ton âme une enveloppe neuve,
Renouvelé neuf fois ta vie et ton épreuve ;
A moins que le pardon, justice de l’amour.
Ne descende vivant dans ce mortel séjour ! »

L’ouragan, à ces mots se levant sur la plaine,
Souffla sur le bûcher de toute son haleine,
Et dispersa la cendre en pâles tourbillons,
Comme un semeur, l’hiver, la semence aux sillons.
L’immobile désert sentit frémir sa poudre,
L’occident se couvrit de menace et de foudre ;
Des nuages pesants, pleins de tonnerre et d’eau,
Posèrent sur les monts comme un sombre fardeau ;
L’homme, le front levé vers la céleste voûte,
Du déluge sentit une première goutte.

 
voici le double mouvement:
Va ! descends, cria-t-il, toi qui voulus descendre !
Mesure, esprit tombé, ta chute et ton remord !
Dis le goût de la vie et celui de la mort !
Tu ne remonteras au ciel qui te vit naître
Que par les cent degrés de l’échelle de l’être,
Et chacun en montant te brûlera le pied ;
 
l’épilogue qui vient juste après, et clôture le livre, a l’apparence et la nature d’une retombée :
« Et le vieillard finit en disant : « Gloire à Dieu !
Dieu, seul commencement, seule fin, seul milieu,
Seule explication du ciel et de la terre,
Seule clef de l’esprit pour ouvrir tout mystère ! »
Il étendit la main pour l’invoquer sur nous !
Nous pliâmes, contrits, nos fronts et nos genoux ;
Comme un homme qui craint de renverser un vase,
Nous sortîmes muets de l’antre de l’extase.
Le navire aux mâts nus, endormi sur les flots,
A l’ombre du Liban berçait nos matelots.
Sous la vergue où le câble avait roulé les voiles,
L’hirondelle du bord en becquetait les toiles.
Le sifflet réveilla le pilote dormant,
Et le vaisseau reprit son sillage écumant »
 
 

La théorie des topoi (pour les hellénistes, dont je me piquais de faire partie du temps de mes études) , qui est maintenant le nouveau cadre fondationnel pour les mathématiques (après la théorie des ensembles qui jouait ce rôle dans les années 60) est le plus souvent présentée comme une généralisation ou une « abstraction » de la théorie des ensembles, et la notion de topos est résumée comme :

une catégorie qui se comporte « comme » la catégorie des ensembles

seulement il existe des manières de présenter les choses qui rendent un peu plus justice à la réalité : les topoi n’ont pas été inventés, ou « découverts », par Grothendieck et Lawvere dans le but de généraliser la théorie des ensembles !

Je dirais plutôt quant à moi que si le premier exemple de topos rencontré par l’homo mathematicus est  effectivement celui des ensembles, c’est à cause du fait que le « devenir-esprit » de l’humanité est orienté dans le sens d’un progrès de la conscience, de la nature, caractérisée par la multiplicité, vers l’esprit, caractérisé par l’unité.

Il n’est donc guère étonnant que la théorie des ensembles, qui est la théorie des multiplicités pures, sans structure ni ordre, soit trouvée en premier.

Cette « découverte » se situe d’ailleurs bien tardivement dans l’histoire de la mathématique, elle vient après celle des nombres entiers, puis des autres nombres, et leur manipulation dans les équations et systèmes d’équations, notions indiscutablement plus « concrètes ».

La notion de topos a à voir avec celle de vérité, à travers l’existence dans tout topos d’un objet-vérité (truth -object) Ω.

Agrémentée de ce que l’on appelle un « natural number object » (généralisant les nombres entiers) elle constitue un cadre de formalisation et de théorisation pour l’évolution moderne (toute récente) de la physique, voir :

http://www.blogg.org/blog-69347-billet-physique_et_theorie_des_topoi__physics__topos_and_category_theory_-716975.html

http://mathesis.blogg.org/date-2006-06-09-billet-368403.html

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/quantum-topos/

après ces éclaircissement partons donc de la catégorie des ensembles, notée le plus souvent Ens (dans les ouvrages français) ou Set (dans les livres en anglais).

http://www.emis.de/journals/BAMV/conten/vol9/jeanyves.pdf

Un ensemble est une catégorie où il n’y a pas de morphismes entre les objets, qui sont les éléments de l’ensemble (en fait, il y a toujours un morphisme, le morphisme identité, souvent identifié avec l’objet).

Prenons un exemple simple : j’ai avec moi une sacoche où il y a, mettons, trois livres; je peux toujours former le concept de l’ensemble de ces trois livres, même s’ils n’ont rien à voir entre eux, même si je ne lis que l’un d’entre eux et que les deux autres appartiennent à quelqu’un d’autre, qui les a oubliés chez moi.

Cet ensemble est donc la collection :

{ A , B , C } où l’on note A, B ,et C les trois livres en question.

si je veux considérer cet ensemble comme une catégorie, je pourrai introduire des morphismes identité sur chacun des trois objets, ou éléments, de cet ensemble:

Id_A : A —-> A   etc…

mais il n’y aura pas de morphismes reliant deux objets différents entre eux.

Maintenant la catégorie des ensembles possède comme objets les ensembles et comme morphismes reliant deux objets, deux ensembles X et Y, les fonctions, ou applications, entre ces ensembles .

Rappelons qu’une fonction f entre deux ensembles X et Y :

f : X ————–> Y

est un procédé qui à tout élément x appartenant à X associe un et un seul  élément  y = f (x) appartenant à l’ensemble Y

Il ne peut pas y avoir deux correspondants, sinon on n’a plus une fonction mais une correspondance (théorie très intéressante elle aussi).

Comme tout ensemble peut être considéré comme une catégorie, la catégorie des ensembles pourra être considérée comme une 2-catégorie. Une fonction entre ensembles sera alors un foncteur entre ces deux ensembles considérés comme catégories.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Foncteur

Là encore, il y a deux manières de comprendre l’évolution : soit les foncteurs seront considérés comme des « généralisations » de la notion de fonction, soit les fonctions seront considérées comme la première « rencontre » de nos mathématiques en train de se développer avec une notion bien plus englobante, et qui contient les fonctions comme un cas particulier simple.

L’intérêt de la catégorie des ensembles est que l’on y  rencontre ainsi tous, ou beaucoup  des concepts les plus usuels de la théorie des catégories.

ainsi une application, ou fonction, entre les ensembles X et Y  est dite injective si un élément de Y n’a qu’un seul « prédecesseur » (quand il en a un).

Il ne peut arriver que deux éléments de X soient envoyés sur le même élément de Y.

une application est dite surjective lorsque tout élément de Y a un (ou plusieurs) prédecesseurs.

Une application est dite bijective quand elle est à la fois injective et surjective.

Ces notions sont présentes en théorie des catégories : les fonctions injectives deviennent les monomorphismes, les applications surjectives sont les épimorphismes, et les applications bijectives les isomorphismes.

Mais la nouveauté radicale, qui est la principale caractéristique de la nouvelle théorie, est que ces notions n’ont plus besoin d’être expliquées en recourant aux éléments, mais seulement à des diagrammes.

Attardons nous un peu là dessus, car cela permet de comprendre pas mal de choses.

Un monomorphisme est un morphisme qui est « simplifiable à gauche » :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Monomorphisme

Dans le cadre plus général de la théorie des catégories, un monomorphisme (aussi appelé mono) est un morphisme simplifiable à gauche, c’est-à-dire une application f\colon X \to Y telle que

f \circ g_1 = f \circ g_2 \implies g_1 = g_2 pour tout morphisme g_1, g_2 \colon Z \to X.
Monomorphism-01.png

La notion duale est celle d’épimorphisme , qui sont la version catégorique des applications surjectives ensemblistes.

Ici s’introduit la notion de dualité, extrêmement importante : la catégorie duale d’une catégorie C est obtenue en reversant le sens des flèches (morphismes).

À partir d’une catégorie \mathcal C, on peut définir une autre catégorie \mathcal C^{op} (ou \mathcal C ^ o), dite opposée ou duale, en prenant les mêmes objets, mais en inversant le sens des flèches.

Plus précisément : Hom_{\mathcal C^{op}}(A,B)=Hom_{\mathcal C}(B,A), et la composition de deux flèches opposées est l’opposée de leur composition :

f^{op}\circ g^{op}=(g\circ f)^{op}

Il est clair que la catégorie duale de la catégorie duale est la catégorie de départ : (\mathcal C^{op})^{op}=\mathcal C.

Un isomorphisme , version catégorique des bijections ensemblistes, est simplement un morphisme qui possède un inverse :

Dans une catégorie C, un isomorphisme est un morphisme f:A\to B tel qu’il existe un morphisme g:B\to A qui soit « inverse » de f à la fois à gauche (g\circ f=\mathrm{id}_A) et à droite (f\circ g=\mathrm{id}_B).

Il suffit pour cela que f possède d’une part un « inverse à gauche » g et d’autre part un « inverse à droite » h. En effet, on a alors

g=g\circ\mathrm{id}_B=g\circ(f\circ h)=(g\circ f)\circ h=\mathrm{id}_A\circ h=h
**********************************************

les topoi cohésifs

Rappelons ce que nous avons fait jusqu’ici : nous prenons la théorie des topoi comme « modèle mathématique » de ce que nous avons appelé « pensée selon l’être » (qui est en maths la pensée ensembliste) à la pensée selon l’Un

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/2012/04/16/pensee-selon-letre-et-pensee-selon-lun/

http://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com/2012/04/16/lun-et-la-pensee-ensembliste/

L’Etre et l’Un, ou les éléments primitifs Etre et Savoir, sont inaccessibles à la pensée humaine, ou seulement comme condtions transcendantales; le topos le plus « bas » (dans la montée vers l’Absolu-Un) qui soit disponible est le topos des ensembles, « modèle » de l’ontologie comme théorie des multiplicités pures (« sans structure », sans « cohésion » autre que le compte-pour-un qui est la condition de l’existence d’un ensemble).

Le topos Ens des ensembles est un « élément terminal »dans la catégorie des topoi de Grothendieck : cela signifie qu’il n’existe qu’UNE SEULE flèche dirigée vers Ens à partir de n’importe quel autre topos.

la page à lire dans Nlab sur les topoi cohésifs est ici :

http://ncatlab.org/nlab/show/cohesive+topos

comme elle est en anglais le topos que nous appelons Ens y est noté Set (set = ensemble en anglais)

 

Le morphisme géométrique (unique puisque le topos des ensembles est un objet terminal) dirigé d’un topos vers le topos des ensembles envoie un « espace » (un objet du topos) vers son « ensemble des points » :

« The canonical global section geometric morphism Γ:ℰ→Set of a cohesive topos over Set may be thought of as sending a space X to its underlying set of points Γ(X). Here Γ(X) is X with all cohesion forgotten (for instance with the topology or the smooth structure forgotten) »

ce morphisme est un foncteur, appelé « section globale », il consiste à « oublier » la structure sur le topos général pour obtenir la multiplicité pure des « points », qui est un ensemble.

 

En dessous du topos des ensembles, nous quittons le domaine des mathématiques, qui est clui des structures, pour le multiple pur, inconsistant, qui est celui de Cantor et Badiou, le domaine de l’ontologie. Puisque le topos des ensembles est celui où toute structure aété « oubliée », on ne peut pas aller « plus bas » vers l’être et le multiple pur : voilà le sns du fait que Ens est un objet terminal dans la catégorie des topoi (munie des morphisme géométriques comme flèches).

 

voici la page de Nlab sur le foncteur « section globale », qui se généralise aux topoi à partir de la géométrie des fibrés ( = « bundles ») :

 

http://ncatlab.org/nlab/show/global+section

 

mais voyons la manière, là encore inspirée des travaux de Lawvere , dont nous pouvons complexifier le modèle mathématique des morphismes géométriques qui nous  sert de « représentation » de l’irreprésentable, à savoir l’élément neutre ou fondamental de la loi de création de Wronski.

 

A partir du foncteur  section globale d’un topos noté E dans Nlab mais que nous noterons ES comme référence à l’élément savoir de Wronski :

 

  Γ : ES ————————–> Ens

 

nous pouvons généralement trouver deux foncteurs adjoints à Γ :

 

un foncteur adjoint à gauche appelé Disc dans Nlab , Disc pour « discrete » :

 

Disc :  Ens —————————> ES

 

et un foncteur adjoint à droite :

 

Codisc :  Ens ————————> ES

 

dans le cadre des structures topologiques, Disc envoie un ensemble sur l’espace ayant pour points les éléments de cet ensmble et pour topologie la topologie dite discrète, où les « ouverts »  consistent en tous les sous-ensembles , voir :

 

http://ncatlab.org/nlab/show/discrete+and+codiscrete+topology

 

et Codisc donne l’espace topologique  avec la topologie où les euls ouverts sont l’ensemble total et l’ensemble vide.

 

Mais la structure complète consiste en un quadruplet d’adjonction, avec un quatrième foncteur :

 

Π0 :  ES ——————————–> Ens

 

qui envoie un espace du topos ES sur ses composantes connexes :

 

http://ncatlab.org/nlab/show/connected+topos

 

ce foncteur est adjoint à gauche de Disc, et au total nous avons quatre foncteurs adjoints, selon la suite :

 

 

Π0    ⊣   Disc  ⊣   Γ       ⊣  Codisc

 *******************************************************

loi de création et théorie des catégories

La loi de création a déjà été abordée sur le blog « Recherche de l’Absolu » :

http://balzacwronskimessianisme.wordpress.com/2012/04/11/diagrammes-de-la-loi-de-creation-de-wronski/

ce qui va être dit ici est purement spéculatif et « formel » , disons un programme de travail qui donnera ou pas quelque chose … je me base sur les ligens suivantes de Francis Warrain dans « Quantité, infini, continu » page 17 :

« toute réalité comporte , outre les deux éléments hétérogènes et primordiaux : élément-être (EE) et élément-savoir (ES) , un élément à double fonction que Wronski appelle : élément fondamental ou neutre (EN).

Cet élément est d’ordre fonctionnel, pragmatique, dynamique, tandis que les deux autres forment une polarité et sont en quelque sorte d’ordre statique et spéculatif.

Cette polarité et l’élément pragmatique se partagent la primauté à des titres différents: du jeu de leur prédominance alternative se tireront les fonctions essentielles qui développent un système quelconque de réalités »

élément pragmatique , fonctionnel , dynamique … ne dirait on pas un morphisme, ou un foncteur ?

en même temps on sait que dans la théorie des catégories, l’ élément fondamental (terme même employé par Wronski pour nommer l’élément neutre EN) consiste en les morphismes, flèches, foncteurs, et non pas en les objets qui sont d’ordre abstrait, facilitant le discours, et sont carrément éliminés par idnetification au morphisme identité dont ils sont pourvus dans certaines présentations de la théorie (celle de Peter Freyd par exemple) .

Donc suivant mon idée , qui pour l’instant  est d’ordre spéculatif, je commence à écrire le haut du diagramme de la loi de Wronski sous forme de foncteur entre deux catégories EE (être) et  ES  (savoir) :

                                 EE   ——————————>  ES

la flèche étant un foncteur appelé EN.

Attention, je répète l’avertissement : il s’agit là d’un essai à titre purement formel, je ne prétends pas que ces termes (catégories, foncteurs, etc..) recouvrent des réalités mathématiques… ce n’est qu’ à la fin, éventuellement, après la progression du travail, que nous pourrons donner un sens exact à ces notions, qui pour l’instant sont proposées à titre d’essai.

Pour des considérations de symétrie, il nous faut aussi un foncteur dans l’autre sens :

              EE   < ————————————   ES

prenons un exemple concret très simple : celui d’un objet naturel, comme ce chien qui pourrait être mon chien si j’en avais un.

C’est un corps vivant, un objet vivant du monde, il court, aboie, gambade, mange… si je ne le nourris pas il meurt … ou bien il se met en colère et me saute dessus pour me manger !

mais en même temps « ce chien ci », qui est supposé être « mon chien », pourrait il exister (s’il existait, ce qui n’est pas le cas) sans que j’intervienne, sans que j’en forme une idée, un concept ?

réponse : NON !

car si je n’existais pas il ne serait pas « mon chien » !

Nous avons donc forcément : le chien en tant qu’objet du monde, « transcendant » comme on dit, et mon idée de ce chien.

Ce sont deux choses différentes, car comme dit Spinoza malicieusement (si tant est que l’on puisse attribuer à Spinoza de la malice ) :

l’idée de chien n’aboie pas !

et elle ne mange pas non plus !

Le chien « objet du monde » est EE, l’idée du chien est ES, et l’élément EN qui les relie est l’opération de connaissance, de correspondance qui fait que « mon idée de mon chien » s’applique à ce chien ci qui est mon chien, et non pas  à , mettons, cette bouteille de vodka !

sinon c’est que j’ai bu la bouteille, et je m’expose à de gros problèmes avec les petits hommes en bleu ou en blancs, qui arrivent dans des voitures qui ont une sirène retentissante…

s’il n’y avait pas EN, sous la forme de deux foncteurs qui assurent la correspondance adéquate entre le monde « là dehors » et le monde « des idées, en moi », alors ce monde serait complètement fouuuu, comme dit le sympathique Jean-Pierre Foucault…

et il serait surtout invivable !

et donc nous n’y vivrions pas , et ne serions pas là pour écrire ou lire ce blog !

EN est donc bien fondamental !

mais revenons à nos catégories et à la loi de création de Wronski :

Nous aurons donc, dans le cas le plus basique, deux « foncteurs » en sens inverse  entre deux « catégories » : on ne peut pas alors ne pas penser à l’adjonction de foncteurs, qui est le concept le plus important de la théorie des catégories !

http://en.wikipedia.org/wiki/Adjoint_functors

nous aurions donc pour EN une paire de foncteurs adjoints entre EE et ES  :

  F :  EE  ————————->  ES

 G :  EE  < ———————–     ES

F étant adjoint à gauche de G :

 F\dashv G

Nous porrions aussi penser à « complexifier » un peu les choses en utilisant des situations qui se présentent souvent en mathématiques , un foncteur ayant un adjoint à droite et un adjoint à gauche, ou bien une série d’ajonctions , la page Wiki ci dessus en présente deux :

A functor with a left and a right adjoint. Let G be the functor from topological spaces to sets that associates to every topological space its underlying set (forgetting the topology, that is). G has a left adjoint F, creating the discrete space on a set Y, and a right adjoint H creating the trivial topology on Y

A series of adjunctions. The functor π0 which assigns to a category its sets of connected components is left-adjoint to the functor D which assigns to a set the discrete category on that set. Moreover, D is left-adjoint to the object functor U which assigns to each category its set of objects, and finally U is left-adjoint to A which assigns to each set the antidiscrete category on that set.

de telles situations avec quatre foncteurs en situation d’ajonction à gauche sont souvent utilisées par Bill Lawvere, par exemple :

http://www.tac.mta.ca/tac/reprints/articles/9/tr9.pdf

pages 3 – 4

mais ne soyons pas plus précis pour l’instant et continuons sur la loi de Création de Wronski :

nous nous occupons de la branche de gauche, celle de la théorie ou autothésie

le premier élément « dérivé immédiat ou universel », après le ternaire des éléments primitifs EE, EN et ES, est :

US universel-savoir comme combinaison de EN et ES

 Ce ne peut être que le schéma ci dessus pour les trois éléments primitifs , où l’on ne retient que le foncteur G  allant de ES à EE (parmi les deux foncteurs adjoints) :

G :               EE  <—————————–  ES

sera US

de même UE combinaison de EE et EN sera l’autre foncteur :

UE = F :           EE —————————–> ES

si nous avons choisi des séries d’ajonction plus complexes, US regroupera tous les foncteurs allant de ES vers EE, et UE tous les foncteurs allant en sens inverse, de EE vers ES

passons aux éléments dérivés médiats, qui résultent de transitions de US vers UE ou de UE vers US en se basant sur le fait que US et UE ont en commun EN, qui participe à leurs combinaisons.

Que peut être une transition entre des foncteurs ? ici la théorie des catégories répond « naturellement » sous la forme des « transformations naturelles » ou « morphismes entre foncteurs » :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Transformation_naturelle

la situation d’adjonction a été choisie, ou du moins suggérée, par moi parce qu’elle arrive en quelque sorte « enceinte » de tout un tas de notions mathématiques toutes plus prégnantes les unes que les autres..

ainsi ne se peut il pas que les deux éléments transitifs, qui relient deux foncteurs adjoints, soient les deux transformations naturelles appelées « unit » et « co-unit » , notées ε  et  η , qui existent dans toute adjonction ?

http://en.wikipedia.org/wiki/Adjoint_functors#Ubiquity_of_adjoint_functors

A counit-unit adjunction between two categories C and D consists of two functors F : C ← D and G : C → D and two natural transformations

\begin{align}<br /><br />
\varepsilon &: FG \to 1_{\mathcal C} \\<br /><br />
\eta &: 1_{\mathcal D} \to GF\end{align}

respectively called the counit and the unit of the adjunction (terminology from universal algebra), such that the compositions

F\xrightarrow{\;F\eta\;}FGF\xrightarrow{\;\varepsilon F\,}F
G\xrightarrow{\;\eta G\;}GFG\xrightarrow{\;G \varepsilon\,}G

are the identity transformations 1F and 1G on F and G respectively

ce qui est noté par :

 (\varepsilon,\eta):F\dashv G

et signifie :

\begin{align}<br /><br />
1_F &= \varepsilon F\circ F\eta\\<br /><br />
1_G &= G\varepsilon \circ \eta G<br /><br />
\end{align}

which mean that for each X in C and each Y in D,

\begin{align}<br /><br />
1_{FY} &= \varepsilon_{FY}\circ F(\eta_Y) \\<br /><br />
1_{GX} &= G(\varepsilon_X)\circ\eta_{GX}<br /><br />
\end{align}.

où bien sûr les catégories C et D de la page Wiki sont nos « catégories » EE et ES respectivement (mais je rappelle que pour l’instant ceci est purement formel, et nous ne saurions donner un sens mathématique à ces notions-projets).

ce qui vient d’être dit concerne la situation la plus simple, où nous nous sommes limités à deux foncteurs adjoints entre EE et ES

passons maintenant à ce que Wronski appelle les quatre « classes systématiques »  : influence partielle de E en S, influence partielle de S en E, influence réciproque (appelée par lui « Concours final »  CF) et enfin ce qu’il appelle Parité coronale PC.

On sait que PC , identité complète du système , unité de ce système sur un plan supérieur, est en fait identique au système de départ, qui est EN , EE et ES :

EN = (F , G) :   EE   ——————> ES

                             EE < —————-   ES

je proposerais bien, sans être définitivement affirmatif, pour l’influence partielle de E en S, le foncteur non plus entre EE et ES mais entre EE et sa catégorie image, qui est une sous-catégorie de ES :

EE —————————> F(EE)  incluse dans ES

de même pour l’influence partielle de S en E :

ES ————————–> G(ES )  incluse dans EE

et pour l’influence réciproque les deux foncteurs restreints aux deux sous-catégories G(ES) et F(EE) .

 

 

 

 

 

la querelle de l’athéisme de Brunschvicg

C’est le nom donné (selon le conseil de Xavier Léon si j’ai bien compris) à l’exposé de Brunschvicg devant la société française de philosophie le 24 mars 1928 :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/vraie_et_fausse_conversion/vraie_et_fausse_conversion.html

(page 180 du document Word)

« M. Léon BRUNSCHVICG présente à la Société les considérations suivantes :

 Le drame de la conscience religieuse depuis trois siècles est défini avec précision par les termes du Mémorial du 23 novembre 1654 : entre le Dieu qui est celui d’Abraham, d’Isaac, de Jacob et le Dieu qui est celui des philosophes et des savants, les essais de synthèse, les espérances de compromis, demeurent illusoires. Il est donc important de soumettre à l’examen les moments du processus spéculatif qui explique et qui, selon nous, commande la nécessité de l’alternative. »

soit Pascal, l’inventeur de la non-philosophie, utilisé contre lui même ! cela s’appelle du judo philosophique, si je ne m’abuse….mais Brunschvicg se heurte à forte contre partie (voir discussion avec Gilson). La suite va expliciter ce « Dieu des philosophes et des savants », et montrer qu’il N’EST PAS le Dieu de la métaphysique et de l’onto-théologie (qui est plutôt celui de Gilson)..

«Pour le sens commun, les choses, à la fois dans leurs éléments et dans leur ensemble, sont telles qu’elles paraissent s’offrir à la perception. Dès lors, il ne s’agira que de savoir si la matière, donnée en soi, existe par soi ; c’est-à-dire que, pour croire que l’on échappe au matérialisme, il suffira de transcender la puissance de l’homo faber dans l’imagination analogique d’un Deus fabricator cœli et terræ. « Les athées n’ont jamais répondu à cette difficulté qu’une horloge prouve un horloger. »

un « sens commun » (très différent du « bon sens » de Descartes) qui réapparait dans la tentative du savant physicien Wolfgang Smith de réhabiliter la « sagesse » de la cosmologie traditionnelle (celle d’Aristote et Saint Thomas d’Aquin) : seulement Malebranche a fait justice de cette illusion de nos sens (d’ordre vital) dès le début de la Recherche de la vérité

«Dans la tradition de la métaphysique, l’animisme était mêlé à l’artificialisme. Non seulement les hommes, les animaux, les végétaux sont des réalités vivantes, mais les rochers et les métaux, le soleil et les étoiles. L’affirmation de la transcendance revient alors à supposer que la hiérarchie des êtres qui, suivant le dynamisme vital, s’étend du monde sublunaire au monde supralunaire, se prolonge, au delà du ciel lui-même et par son intermédiaire, jusqu’à une région peuplée de réalités invisibles et surnaturelles

c’est à dire : la métaphysique (classique) est impuissante à se dégager des illusions vitalistes du sens commun, et donc de la doxa.

«Le développement de la méthode rationnelle ne ruine-t-il pas le postulat dogmatique auquel se réfèrent à la fois les thèses naturalistes et les antithèses supernaturalistes ? Il est clair que la matière, supposée en soi, se résout nécessairement en éléments multiples dont chacun, en vertu de l’extériorité qui lui est essentielle, exclut l’existence de tout autre élément : le réalisme épuise donc ses ressources dans la définition d’un point unique, d’un atome absolu….

En revanche, si l’univers, inorganique ou organique, existe en tant que tel, c’est grâce à l’activité une et indivisible d’une pensée qui, par la combinaison du calcul, et de l’expérience, a su coordonner à l’infini les mouvements des choses et les événements de la vie. La science accomplit la nature ; et, par là même, elle donne à l’homme conscience d’une aptitude à la vérité universelle où il nous paraît bien difficile de ne pas apercevoir la vocation de l’esprit

et suit le passage le plus important :

«Le fait décisif de l’histoire, ce serait donc, à nos yeux, le déplacement dans l’axe de la vie religieuse au XVIIesiècle, lorsque la physique mathématique, susceptible d’une vérification sans cesse plus scrupuleuse et plus heureuse, a remplacé une physique métaphysique qui était un tissu de dissertations abstraites et chimériques autour des croyances primitives. L’intelligence du spirituel à laquelle la discipline probe et stricte de l’analyse élève la philosophie, ne permet plus, désormais, l’imagination du surnaturel qui soutenait les dogmes formulés à partir d’un réalisme de la matière ou de la vie. L’hypothèse d’une transcendance spirituelle est manifestement contradictoire dans les termes ; le Dieu des êtres raisonnables ne saurait être, quelque part au delà de l’espace terrestre ou visible, quelque chose qui se représente par analogie avec l’artisan humain ou le père de famille. Étranger à toute forme d’extériorité, c’est dans la conscience seulement qu’il se découvre comme la racine des valeurs que toutes les consciences reconnaissent également. À ce principe de communion les propositions successivement mises au jour et démontrées par les générations doivent leur caractère intrinsèque de vérités objectives et éternelles, de même qu’il fonde en chacun de nous cette caritas humani generis, sans qui rien ne s’expliquerait des sentiments et des actes par lesquels l’individu s’arrache à l’égoïsme de la nature. Ce Dieu, il faudra donc l’appeler le Verbe, à la condition que nous sachions entendre par là le Verbum ratio (λόγος ἐνδιάθετος) dont le Verbum oratio (λόγος προφορικὸς) est la négation bien plutôt que le complément, avec tout ce qui, par l’extériorité du langage à la pensée, s’est introduit dans les cultes populaires : mythes de révélations locales et de métamorphoses miraculeuses, symboles de finalité anthropomorphique

Verbum ratio : c’est là le Dieu des philosophes…

ce principe intérieur de communion qui fonde la charité, sans avoir besoin comme chez Pascal d’un « ordre de la charité » supérieur à l’ordre de l’esprit :

« À ce principe de communion les propositions successivement mises au jour et démontrées par les générations doivent leur caractère intrinsèque de vérités objectives et éternelles, de même qu’il fonde en chacun de nous cette caritas humani generis, sans qui rien ne s’expliquerait des sentiments et des actes par lesquels l’individu s’arrache à l’égoïsme de la nature. »

et ce Dieu -Verbe est déjà délimité dans le platonisme, et provoque le même scandale, les mêmes accusations d’athéisme et de « perversion et détournement de la jeunesse vis à vis des dieux de la cité » :

« il n’est pas sans intérêt, à nos yeux, de rappeler que Platon l’avait soulignée déjà dans le passage central de la République où l’Idée du Bienest dégagée de tout contact avec l’hypostase ontologique…

…mais, s’il n’y a pas plus profonde disgrâce que de se condamner à chercher l’esprit là où il ne peut pas être, à croire comme vrai ce qui ne comporte aucune vérification positive ; la question demeure posée aux sages de savoir s’il ne vaut pas la peine d’encourir, de la part du vulgaire, le soupçon d’athéisme pour qu’ils gardent, jusqu’au bout, la fidélité au Dieu qui n’existe qu’en esprit et qu’en vérité