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Balzac : les secrets de la princesse de Cadignan

Pourquoi Balzac sur un blog consacré à Brunschvicg ?

et pourquoi pas ?

d’abord je commence à me dire qu’il ne serait pas très intéressant de limiter ce blog à l’oeuvre de Brunschvicg et à l’éclairage qu’elle peut donner sur la philosophie et la science…la philosophie est une connaissance intégrale, et elle peut et doit parler de tout…

Je suis devenu un dévôt de Brunschvicg sur le tard, à l’âge de 40 ans, ce qui est sans doute une bonne chose, d’ailleurs il me semble que l’étude de la Kabbale doit être entreprise à cet âge et pas avant selon les rabbins : donc combien cette précaution est encore plus nécessaire s’agissant de la philosophie de Brunschvicg, qui plane quand même un peu au dessus !

par contre je suis entré en religion balzacienne bien plus tôt, un après midi , vers l’âge de 13 ou 14 ans (?) où j’ai dévoré littéralement « Le lys dans la vallée » , perché sur un escabeau (ça ne s’oublie pas et ça ne s’invente pas! voulais je déjà prendre de la hauteur et me placer, bien avant de connaître Nietzsche, 6000 pieds au dessus des choses humaines ? ) dans l’appartement familial parisien..cette lecture, outre qu’elle m’a bouleversé (je me souviens que je pleurais à chaudes larmes, eh oui… 13 ans !) a complètement changé mon rapport au monde et à la vie (et à la femme, que je ne connaissais pas alors, d’ailleurs la connaît on jamais?) et je suis souvent revenu dans cette vallée, tâchant de surprendre les fantômes de Mme de Mortsauf et de Félix de Vandenesse..

« Les secrets de la princesse de Cadignan » est une délicieuse petite nouvelle qui se lit en une heure (ou se relit, ce que j’ai fait il y a deux jours), le texte en est sur Wikisource :

http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Secrets_de_la_princesse_de_Cadignan

voir aussi :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Secrets_de_la_princesse_de_Cadignan

http://www.v1.paris.fr/commun/v2asp/musees/balzac/furne/notices/secrets_cadignan.htm

La princesse de Cadignan, c’est la duchesse Diane de Maufrigneuse, l’un des personnages les plus fascinants de la « Comédie », un « Dom Juan » féminin qui « si elle avait invité la statue du Commandeur, ce n’aurait pas été à dîner , et elle eût certes eu raison de la statue » (ah Balzac ! quelles suggestions admirables !)

tout semble l’opposer à Henriette de Mortsauf , mariée à un monstre mais mère de deux adorables enfants et qui résiste jusqu’ à la mort à la « tentation » de l’amour qu’elle éprouve pour Félix, engagé comme précepteur des enfants : et pourtant je décèle, moi, une proximité profonde entre les deux, entre l’héroïne chrétienne et le Dom Juan féminin qui « va sur les brisées des hommes et ruine ses amants sans jamais leur demander un liard (elle est trop Maufrigneuse pour ça !) »

Ce sont deux femmes d’exception, d’élite dit Balzac

La nouvelle se passe en 1832, alors qu’elle a 36 ans et se prépare à « la fin » de sa vie de femme , son mari le prince de Cadignan est à l’étranger, elle est ruinée et se contente de vivre dans un 5 pièces (oui, quand même !) parisien: va alors lui tomber entre les mains un homme rare, un homme d’élite lui aussi, plus que ça même : l’homme de génie, Daniel d’Arthez!

et l’histoire va raconter la « chasse » à l’homme de génie, qui sera à la fin couronnée de succès, grâce à des stratégies ma foi pas très ..chrétiennes, ni surtout attachées à la vérité; seulement cette femme aime, elle veut « se retirer » dans le « petit paradis » qu’elle entrevoit auprès de cet homme tellement rare…. qu’elle n’en a jamais connu de semblable.

C’est son « amie » la marquise d’Espard (une autre « rouée » de haut vol, mais qui se sait inférieure à Diane, d’où l’envie de mordre, dont les deux femmes sont conscientes) qui lui jette cet ortolan tout chaud tout rôti comme « cadeau » pour entretenir l’amitié; le prétexte sera que l’ami républicain de D’arthez, Michel Chrestien, autre homme d’élite et ayant entrevu avant tout le monde l’idéal d’Europe fédérale , fut pendant 4 ans l’amoureux transi et sans espoir de Diane (or, avouera t’elle à d’ Arthez pour le « mettre en condition » , « s’il s’était ddéclaré la dernière année, il l’eût trouvée faible ») et mort en 1832 lors des émeutes) et il n’avait confié cet amour qu’à d’Arthez qui l’accompagnait parfois sous la pluie pour entrevoir la duchesse à travers la vitre de son carosse (charmant !)… bref ils se recontrent lors d’un dîner chez la parquise, Diane parle à d’Arthez de son malheureux ami, et …l’affaire se met en route :

« Je ne veux pas être inaccessible pour l’ami de ce pauvre républicain, lui dit-elle. Et quoique je me sois fait une loi de ne recevoir personne, vous seul au monde pourrez entrer chez moi. Ne croyez pas que ce soit une faveur. La faveur n’existe jamais que pour des étrangers, et il me semble que nous sommes de vieux amis : je veux voir en vous le frère de Michel. »…

on devine l’état intérieur du grand homme !

« D’Arthez ne put que presser le bras de la princesse, il ne trouva rien à répondre »

ce serait absurde de raconter par le menu toute l’intrigue, Balzac ne se raconte pas, il est LE conteur, le mieux est encore de lire la nouvelle, receuillons juste quelques fleurs sous formes de citation pour « baliser » les « progrès » de cette « chasse à l’homme » :

les échanges entre la marquise et la duchesse à la fin du dîner de présentation (la chasse commence donc !) :

« — Eh ! bien, dit la marquise à Diane, comment le trouvez-vous ?

Mais c’est un adorable enfant, il sort du maillot. Vraiment, cette fois encore, il y aura, comme toujours, un triomphe sans lutte.

— C’est désespérant, dit madame d’Espard, mais il y a de la ressource.

— Comment ?

— Laissez-moi devenir votre rivale.

— Comme vous voudrez, répondit la princesse, j’ai pris mon parti. Le génie est une manière d’être du cerveau, je ne sais pas ce qu’y gagne le cœur, nous en causerons plus tard. »

les avertissements de Rastignac (qui a payé de sa personne avec Diane):

« — Michel avait raison de l’aimer, répondit d’Arthez, c’est une femme extraordinaire.

— Bien extraordinaire, répliqua railleusement Rastignac. À votre accent, je vois que vous l’aimez déjà ; vous serez chez elle avant trois jours, et je suis un trop vieil habitué de Paris pour ne pas savoir ce qui va se passer entre vous. Eh ! bien, mon cher Daniel, je vous supplie de ne pas vous laisser aller à la moindre confusion d’intérêts. Aimez la princesse si vous vous sentez de l’amour pour elle au cœur ; mais songez à votre fortune. Elle n’a jamais pris ni demandé deux liards à qui que ce soit, elle est bien trop d’Uxelles et Cadignan pour cela, mais, à ma connaissance, outre sa fortune à elle, laquelle était très-considérable, elle a fait dissiper plusieurs millions. Comment ? pourquoi ? par quels moyens ? personne ne le sait, elle ne le sait pas elle-même. Je lui ai vu avaler, il y a treize ans, la fortune d’un charmant garçon et celle d’un vieux notaire en vingt mois. »

(c’est quand même un peu mieux que nos modernes escort-girls, non ? et puis une aristocrate…)

la princesse se met à l’affût :

« En revenant chez elle, la princesse ne discuta pas plus avec elle-même que d’Arthez ne se défendit contre le charme qu’elle lui avait jeté. Tout était dit pour elle : elle aimait avec sa science et avec son ignorance. Si elle s’interrogea, ce fut pour se demander si elle méritait un si grand bonheur, et ce qu’elle avait fait au ciel pour qu’il lui envoyât un pareil ange. Elle voulut être digne de cet amour, le perpétuer, se l’approprier à jamais, et finir doucement sa vie de jolie femme dans le paradis qu’elle entrevoyait. Quant à la résistance, à se chicaner, à coqueter, elle n’y pensa même pas. Elle pensait à bien autre chose ! Elle avait compris la grandeur des gens de génie, elle avait deviné qu’ils ne soumettent pas les femmes d’élite aux lois ordinaires. Aussi, par un de ces aperçus rapides, particuliers à ces grands esprits féminins, s’était-elle promis d’être faible au premier désir. D’après la connaissance qu’elle avait prise, à une seule entrevue, du caractère de d’Arthez, elle avait soupçonné que ce désir ne serait pas assez tôt exprimé pour ne pas lui laisser le temps de se faire ce qu’elle voulait, ce qu’elle devait être aux yeux de cet amant sublime.

Ici commence l’une de ces comédies inconnues jouées dans le for intérieur de la conscience, entre deux êtres dont l’un sera la dupe de l’autre, et qui reculent les bornes de la perversité, un de ces drames noirs et comiques, auprès desquels le drame de Tartufe est une vétille  »

elle appâte sa proie (c’est Diane qui parle, et dit leur fait aux actuelles féministes geignardes avec près de 2 siècles d’avance) :

« Quelle sottise aux femmes de se plaindre ! Si elles n’ont pas été les plus fortes, elles ont manqué d’esprit, de tact, de finesse, elles méritent leur sort. Ne sont-elles pas les reines en France ? Elles se jouent de vous comme elles le veulent, quand elles le veulent, et autant qu’elles le veulent. Elle fit danser sa cassolette par un mouvement merveilleux d’impertinence féminine et de gaieté railleuse. — J’ai souvent entendu de misérables petites espèces regretter d’être femmes, vouloir être hommes ; je les ai toujours regardées en pitié, dit-elle en continuant. Si j’avais à opter, je préférerais encore être femme. Le beau plaisir de devoir ses triomphes à la force, à toutes les puissances que vous donnent des lois faites par vous ! Mais quand nous vous voyons à nos pieds disant et faisant des sottises, n’est-ce donc pas un enivrant bonheur que de sentir en soi la faiblesse qui triomphe ? Quand nous réussissons, nous devons donc garder le silence, sous peine de perdre notre empire. Battues, les femmes doivent encore se taire par fierté : le silence de l’esclave épouvante le maître.

Ce caquetage fut sifflé d’une voix si doucement moqueuse, si mignonne, avec des mouvements de tête si coquets, que d’Arthez, à qui ce genre de femme était totalement inconnu, restait exactement comme la perdrix charmée par le chien de chasse. »

(« elles sont la flèche, et nous la cible » dixit Nougaro)

bref… je ne veux pas être trop long quand même, on lira avec une admiration horrifiée (et fascinée) le gros mensonge de la princesse qui se fait passer pour la victime de sa mère qui lui a refourgué il est vrai son amant comme mari, un mari qui n’est pas du tout un monstre comme Mr de Mortsauf mais un militaire assez « cool » qui laisse entière liberté à sa femme (il faut dire qu’il serait idiot de vouloir stopper le tsunami de 2004 ou l’éruption du Vésuve) pour ses « petites aventures » :

« Et ! bien, ne serais-je pas condamnée par le monde ? Et cependant vingt ans de souffrances n’excuseraient-elles pas une dizaine d’années qui me restent à vivre encore belle, données à un saint et pur amour ? Cela ne sera pas, je ne suis pas assez sotte que de diminuer mes mérites aux yeux de Dieu. J’ai porté le poids du jour et de la chaleur jusqu’au soir, j’achèverai ma journée, et j’aurai gagné ma récompense…

— Quel ange ! pensa d’Arthez »

(oui, mais un ange qui a en plus quelques « talents » que ne désavouerait pas Aphrodite, ou bien Messaline)

« Savez-vous le mot infâme qui m’a fait faire d’autres folies ? Inventerez vous jamais l’horrible des calomnies du monde ? — La duchesse de Maufrigneuse est revenue à son mari, se disait-on. — Bah ! c’est par dépravation, c’est un triomphe que de ranimer les morts, elle n’avait plus que cela à faire, a répondu ma meilleure amie, une parente, celle chez qui j’ai eu le bonheur de vous rencontrer.

— Madame d’Espard ! s’écria Daniel en faisant un geste d’horreur.

— Oh ! je lui ai pardonné, mon ami. D’abord le mot est excessivement spirituel, et peut-être ai-je dit moi-même de plus cruelles épigrammes sur de pauvres femmes tout aussi pures que je l’étais »

elle est forte la bougresse !

mais c’est encore ce voyou de Maxime de Trailles qui la connaît le mieux…hommage rendu par le caniveau à Aphrodite sur l’Olympe :

« Chez Diane la dépravation n’est pas un effet, mais une cause ; peut-être doit-elle à cette cause son naturel exquis : elle ne cherche pas, elle n’invente rien ; elle vous offre les recherches les plus raffinées comme une inspiration de l’amour le plus naïf, et il vous est impossible de ne pas la croire. »

et la réponse foudroyante de l’homme de génie face à ces « petits » gnomes qui confondent spirituel et « spiritueux » :

« Le plus grand tort de cette femme est d’aller sur les brisées des hommes, dit-il. Elle dissipe comme eux des biens paraphernaux, elle envoie ses amants chez les usuriers, elle dévore des dots, elle ruine des orphelins, elle fond de vieux châteaux, elle inspire et commet peut-être aussi des crimes, mais

Jamais aucun des deux personnages auxquels répondait d’Arthez n’avait entendu rien de si fort. Sur ce mais, la table entière fut frappée, chacun resta la fourchette en l’air, les yeux fixés alternativement sur le courageux écrivain et sur les assassins de la princesse, en attendant la conclusion dans un horrible silence.

Mais, dit d’Arthez avec une moqueuse légèreté, madame la princesse de Cadignan a sur les hommes un avantage : quand on s’est mis en danger pour elle, elle vous sauve, et ne dit de mal de personne. Pourquoi, dans le nombre, ne se trouverait-il pas une femme qui s’amusât des hommes, comme les hommes s’amusent des femmes ? Pourquoi le beau sexe ne prendrait-il pas de temps en temps une revanche ?… »

et je ne peux pas oublier cela, où Balzac « discrimine » entre femmes d’élite (qui n’existent plus en nos jours bourgeois de foule sentimentale) et femmes… ordinaires (dirons nous par pure charité…chrétienne ?) :

«  Il y avait je ne sais quoi de fin, de délicat dans ce discours qui le toucha aux larmes. La princesse sortait de toutes les conditions ignobles et bourgeoises des femmes qui se disputent et se chicanent pièce à pièce sur des divans, elle déployait une grandeur inouïe ; elle n’avait pas besoin de le dire, cette union était entendue entre eux noblement. Ce n’était ni hier, ni demain, ni aujourd’hui ; ce serait quand ils le voudraient l’un et l’autre, sans les interminables bandelettes de ce que les femmes vulgaires nomment un sacrifice ; sans doute elles savent tout ce qu’elles doivent y perdre, tandis que cette fête est un triomphe pour les femmes sûres d’y gagner. Dans cette phrase, tout était vague comme une promesse, doux comme une espérance et néanmoins certain comme un droit. Avouons-le ? Ces sortes de grandeurs n’appartiennent qu’à ces illustres et sublimes trompeuses, elles restent royales encore là où les autres femmes deviennent sujettes. »

La princesse attend le résultat de ce « dîner » au cours duquel elle peut tout perdre…ces aventurières du sexe et de l’esprit ont au fond une mentalité encore plus « risque tout » que n’importe quel général d’armée ou capitaine d’industrie :

« Elle ne savait quel parti prendre au cas où d’Arthez croirait le monde qui dirait vrai, au lieu de la croire, elle qui mentait ; car, jamais un caractère si beau, un homme si complet, une âme si pure, une conscience si ingénue ne s’étaient offerts à sa vue, à sa portée. Si elle avait ourdi de si cruels mensonges, elle y avait été poussée par le désir de connaître le véritable amour. Cet amour, elle le sentait poindre dans son cœur, elle aimait d’Arthez ; elle était condamnée à le tromper, car elle voulait rester pour lui l’actrice sublime qui avait joué la comédie à ses yeux. Quand elle entendit le pas de Daniel dans la salle à manger, elle éprouva une commotion, un tressaillement qui l’agita jusque dans les principes de sa vie.. »

(charmante façon pour Balzac d’évoquer les signes annonciateurs de l’orgasme féminin… ah le continent noir !)

et enfin la mise à mort.. ou plutôt à VIE (« je suis un petit taureau » chantait dans le temps Nougaro je crois ?) :

« — Daniel, on m’a calomniée et tu m’as vengée ! s’écria-t-elle en se levant et en lui ouvrant les bras.

Dans le profond étonnement que lui causa ce mot dont les racines étaient invisibles pour lui, Daniel se laissa prendre la tête par deux belles mains, et la princesse le baisa saintement au front.

— Comment avez-vous su…

Ô niais illustre ! ne vois-tu pas que je t’aime follement ?

Depuis ce jour, il n’a plus été question de la princesse de Cadignan, ni de d’Arthez. La princesse a hérité de sa mère quelque fortune, elle passe tous les étés à Genève dans une villa avec le grand écrivain, et revient pour quelques mois d’hiver à Paris. D’Arthez ne se montre qu’à la Chambre, et ses publications sont devenues excessivement rares. Est-ce un dénoûment ? Oui, pour les gens d’esprit, non, pour ceux qui veulent tout savoir »

Eh oui ! ceux qui veulent tout savoir, pas « les faits » (les tristes faits, les secrets de polichinelle de ce qui se passe entre un homme et une femme dans un lit, ou ailleurs) mais le derrière et le devant, le pourquoi et le comment… pourquoi tout ça ? pour ça ?!!!

quelle est la « magie » de ce récit (à part la forme, qui est admirable, et dont j’ai essayé de donner une petite idée par quelques citations) ?

ce qui nous est présenté là, c’es, osons quelques mots de moralistes (mal venus donc) :

LE MAL

un être supérieur, une femme d’une beauté, d’une audace et d’une intelligence extraordinaires, dupe un autre être en déployant tous les « filets » trompeurs qui vont le capturer… et ce genre de femme n’échoue jamais (sauf si Dieu s’en mêle bien sûr, mais j’ai du mal à me représenter Dieu espionnant les chambres à coucher, je ne suis guère adepte de l’Islam).

Mais de ce MAL à la fois fascinant et glaçant, va sortir un BIEN

supérieur !

Le MAL, c’est quand la conscience, une conscience, toute conscience, n’est pas libre mais asservie
Quand c’est un ministre, ça va encore…mais pas quand c’est Daniel d’ Arthez!
car cet homme, proie de cette Diane chasseresse qui est en même temps une Vénus des carrefours (mais pas n’importe quels carrefours), c’est plus qu’un homme supérieur, c’est un homme de génie, comme il n’y en a pas cinq par siècle!

sa faiblesse d’ascète qui n’a jamais connu « ce genre de femmes », et peut donc être berné facilement par elle (mais pour l’amour vrai ! la bonne cause, donc !), s’accompagne de la force spirituelle qui est en quelque sorte un pont vers le divin, vers le monde de l’esprit…

et nous pouvons donc imaginer que ces deux êtres vont trouver ensemble, sans être mariés(justement pour ça, peut être ?) à la fois une vie « heureuse » qui donnera à la chair ses « accomodements raisonnables » (car enfin une femme telle que Diane chasseresse de Maufrigneuse ne peut pas devenir une nonne, quand même) et une « aventure de l’esprit » qui leur permettra de « se transcender eux mêmes », puisque l’homme est un pont et non un but, vers cet amour d’esprit à esprit qui , peut être, « débouche dans l’éternité » ?

pour reprendre le mot de Brunschvicg :

« il est malaisé de décider si l’armée des vivants peut avoir l’espérance, suivant la magnifique image que nous a proposée Bergson, de « culbuter la mort« ; mais, puisque le salut est en nous, n’est il pas assuré que l’armée des esprits débouche dans l’éternité, pourvu que nous ayons soin de maintenir à la notion d’éternité sa stricte signification d’immanence radicale?  »

mais bien entendu, je n’ai jamais fait de stage de tantrisme, je suis donc un ignorant profond !

et, pour parler comme Balzac à la fin du Cousin Pons (autre roman admirable!) :

« excusez les fautes du copiste ! »

PS :

La chanson de Nougaro , « je suis un petit taureau »

Petit-taureau

elle ne peut pas ne pas nous ramener à une autre histoire d’amour qui fut aussi une mise à mort, réelle cette fois, dans le Japon de 1936 :

« Ai no corrida » , la corrida de l’amour, si mal traduit par le titre français « L’empire des sens », basé sur des faits réels; je lui avais consacré un article dans le temps, à propos d’ un autre film, « Punch drunk love », et en fait avec comme propos final encore un autre film de Paul Thomas Anderson, « There will be blood » (comme j’étais compliqué en ce temps là) :

Punch-drunk-love

et

I-am-finished

Eh bien somme toute il me semble que la nouvelle de Balzac est plus, comment dire, « prometteuse »
sinon édifiante (ce dont la philosophie doit se garder) que la belle histoire de « Punch drunk love », et même que cet amour absolu illuminant la geisha faisant l’ amour avec son « Maître », à tel point qu’elle l’ étrangle (avec son accord), lui tranche le sexe et garde ce trophée en son intimité pour des heures d’errance avant d’ être arrêtée… On me trouvera sans doute vieux jeu mais j’aurais préféré qu’il reste en vie et qu’ils puissent partager ce satori incommunicable, qu’ils se libèrent dans cette connaissance partagée de l’enfermement de leurs conditions sociales respectives dans une sorte de dialectique : Hegel plus la fellation moins le meurtre et la castration… mais évidemment toute « connaissance » même libératrice reste dans le domaine de la dualité je sais…j’espère qu’ on pardonnera mon occidentalocentrisme mesquin, mais comme je suis persuadé qu’il n’y aura pas d’ épiphanie de la vérité ni a fortiori de l’un…..

Reste la scène finale de « There will be blood » , la plus grande et ténébreuse de tout le cinéma à mon sens: là nous ne sommes plus dans l’amour, ni absolu ni divin ni trop humain mais dans son contraire l’enfer…et cette scène ne déparerait pas certains des romans les plus sombres de Balzac, comme « La rabouilleuse »

le principe d’immanence et la philosophie comme connaissance intégrale

comme vu dans l’article précédent :

https://leonbrunschvicg.wordpress.com/2012/09/24/roger-verneaux-histoire-de-la-philosophie/

Brunschvicg n’a pas varié d’un pouce au cours de sa longue vie philosophique sur ce « principe d’immanence », comme l’appelle Roger Verneaux (qui ne l’accepte pas) , qui est posé dès le début de sa thèse dans « La modalité du jugement » :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/modalite_du_jugement/modalite_du_jugement.html

autant examiner le texte complet du passage où figurent les lignes célèbres citées par Verneaux , il se situe dès le début du chapitre 1.

« Tandis que, dans une science déterminée, le savant étudie, suivant une méthode qui lui est imposée à l’avance, un objet dont il a admis à l’avance l’existence, le philosophe doit commencer par découvrir l’objet et la méthode de sa recherche, objet toujours nouveau, méthode toujours nouvelle, en ce sens qu’il lui demeure toujours possible d’en fournir une démonstration originale et plus profonde. C’est que la philosophie veut être une connaissance intégrale : or une connaissance ne peut espérer de devenir intégrale qu’à la condition de pouvoir sans cesse élargir son objet et perfectionner sa méthode. »

la philosophie n’est pas la science, bien que celle ci en soit, pour employer un lexique cher à Badiou, la « condition », puisque la philosophie est la réflexion intellectuelle sur la science….(mais aussi sur l’art, il est vrai)

Brunschvicg va ensuite s’attacher à expliciter cette notion de « connaissance intégrale » , et explique pourquoi elle amène nécessairement la philosophie à évoluer du stade métaphysique de l’ancienne ontologie (attachée à la poursuite naïve de l’objet total) au stade critique :

« Que sera cette connaissance intégrale ? Ce sera, semble-t-il, la connaissance de l’objet total. Les premiers métaphysiciens se sont, en effet, attachés à l’objet pour le déterminer comme total ; mais l’impossibilité d’atteindre à un résultat stable dut convaincre l’esprit que non seulement le problème ainsi posé dépassait la puissance de l’intelligence humaine, mais qu’il était même incompatible avec sa nature. Comment être sûr, en effet, que l’objet était directement atteint, était absolument objet, alors qu’on faisait abstraction de la connaissance que nous en prenons ? Avant de prétendre juger une oeuvre étrangère, il faut en avoir fixé la traduction ; avant de discuter sur l’objet, il faut en posséder la connaissance intégrale. Dans l’ordre philosophique, l’intuition de l’objet suppose la réflexion sur cette prétendue intuition. Bref, la philosophie qui était une ontologie, devint la critique, c’est-à-dire que l’être en tant qu’être cessa d’être une idée philosophique, puisque c’est par définition même la négation de l’idée en tant qu’idée. »

et c’est alors que les lignes , citées par Verneaux, où se trouve enchâssé le dit « principe d’immanence » , arrivent tout naturellement :

« La spéculation philosophique, étant un genre de connaissance, ne peut décider que de l’être en tant que connu, ou, mieux encore, puisqu’elle pose d’une façon absolue le problème de la connaissance, elle juge la connaissance en tant qu’être. De ce point de vue auquel il faut que l’esprit s’accoutume lentement et laborieusement, la connaissance n’est plus un accident qui s’ajoute du dehors à l’être, sans l’altérer, comme est devant un objet un verre parfaitement transparent ; la connaissance constitue un monde qui est pour nous le monde. Au-delà il n’y a rien ; une chose qui serait au-delà de la connaissance, serait par définition l’inaccessible, l’indéterminable, c’est-à-dire qu’elle équivaudrait pour nous au néant. »

Et il vaut la peine de lire dans la foulée la suite, qui explicite cette thèse et la rend parfaitement claire :

« La philosophie procède par concepts ; or un concept n’enferme intégralement qu’un autre concept. L’intelligence. n’est transparente qu’à l’intelligence ; la seule certitude peut être objet de certitude. Toute doctrine par conséquent qui présenterait une faculté non représentative, le sentiment ou la volonté, comme supérieure à la représentation et comme indépendante d’elle, sera une doctrine non philosophique. Elle pourra exprimer une grande vérité religieuse ; elle pourra avoir une grande efficacité morale ; mais elle ne sera pas susceptible de justification rationnelle, et elle sera reléguée à bon droit parmi les doctrines qualifiées de sentimentales, de mystiques, ou de tout autre nom qui en marque le caractère irrationnel. »

et ensuite Brunschvicg précise la distinction capitale entre philosophie et science, et caractérise cette « connnaissance intégrale » qu’est la philosophie comme « connaissance de soi » (Socrate !), comme connaissance réflexive de l’activité intellectuelle (la réflexion étant, comme l’a montré Robberechts, la méthode même du spinozisme) :

« dans toute étude d’ordre scientifique, l’esprit qui connaît et l’objet qui est à connaître sont en présence l’un de l’autre, tous deux supposés fixes et immuables. Si l’esprit de l’observateur était altéré par l’observation même, si la loi des phénomènes pouvait être modifiée au cours de l’expérience, il n’y aurait plus de place pour une vérité scientifique. Aussi l’étude de la connaissance, quand elle veut procéder d’une façon scientifique, doit-elle se donner à elle-même un objet qui puisse être mis en quelque sorte à l’abri de toute modification survenant au cours même de l’observation et due au caprice de l’observateur ; par exemple, elle enferme la pensée dans le langage qui, par hypothèse au moins, l’enveloppe et la moule exactement ; c’est à travers les formes du langage qu’elle étudie les lois de la pensée, et ainsi c’est à bon droit qu’une telle science peut prétendre à l’objectivité. Mais, à cause de cette objectivité même, cette science n’épuise pas la connaissance de la connaissance. Elle repose, en effet, sur un postulat, parce qu’elle est une science et que toute science implique ce postulat nullement négligeable qui est le savant. Or le savant peut, et doit, s’étudier lui-même. Alors il met en question ce qui était le postulat de la science, c’est-à-dire qu’il franchit les limites de la science pour essayer d’atteindre à la réflexion philosophique. Au regard de cette réflexion, l’analyse de la connaissance est toute différente de l’analyse scientifique que nous présentions tout d’abord

Dans cette science objective de la connaissance, il. était permis au savant, psychologue ou philologue, de comparer les différentes phases par lesquelles passait l’enfant et de suivre l’évolution de son esprit depuis le jeu automatique de la conscience spontanée jusqu’au mécanisme du raisonnement le plus abstrait ; c’est là une question d’ontogenèse, l’étude d’un enfant par un adulte, analogue à celle de l’embryologie. Mais s’ensuit-il que, philosophiquement, la pensée d’un savant lui-même, la pensée rationnelle, ait pu naître à la suite d’une pareille évolution ? qu’elle ne soit que la résultante de sensations et d’associations ? Posée en ces termes, la question n’a plus de sens ; car il faudrait, pour la résoudre, que le savant se supposât lui-même disparu, et se demandât ce qu’il pouvait être avant qu’il fût, qu’il se fît à la fois, suivant l’expression platonicienne, plus jeune et plus vieux que lui-même. »

et l’idéalisme , porté par  Brunschvicg , comme le reconnaît fort justement Verneaux,  à son stade de perfection, apparaît alors, tel un fruit mûr tombant de l’arbre, comme la seule solution au problème de la philosophie conçue comme « connaissance intégrale », c’est à dire comme connaissance de l’activité de l’esprit par l’esprit lui même :

« En d’autres termes, si on a pu dire que le matérialisme est condamné par cela seul que l’organisation de l’univers, telle que l’imagine le matérialisme, ne laisserait pas de place à une doctrine de philosophie comme le matérialisme lui-même, il en est de même encore de l’empirisme, entendu comme une métaphysique : la méthode de l’empirisme suffirait pour enlever toute valeur à une philosophie empirique. Puisque la philosophie est une œuvre de réflexion, le seul objet directement accessible à la réflexion philosophique, c’est la réflexion elle-même. Tant qu’il y a disproportion entre le contenu et la forme, entre le système et la méthode, il ne peut y avoir de connaissance intégrale. Pour qu’il y ait une telle connaissance, il faut que l’esprit s’engage tout entier dans la solution du problème. L’esprit ne se donne plus un objet qui soit fixe et qui demeure posé devant lui ; il cherche à se saisir lui-même dans son mouvement, dans son activité, à atteindre la production vivante, non le produit qu’une abstraction ultérieure permet seule de poser à part. Au-delà de l’action qui en est la conséquence éloignée, au-delà des manifestations encore extérieures que le langage en révèle, c’est jusqu’à la pensée que la pensée doit pénétrer. L’activité intellectuelle prenant conscience d’elle-même, voilà ce que c’est que l’étude intégrale de la connaissance intégrale, voilà ce que c’est que la philosophie.

Ainsi une philosophie intellectualiste peut être une philosophie de l’activité ; elle ne peut être véritablement intellectualiste qu’à la condition d’être une philosophie de l’activité. »

et enfin, le sage enfonce un « clou » définitif (façon de parler bien sûr) qui premettra ensuite de comprendre la distinction de la raison comme langage et de la Raison comme Verbe , « logos endiathetos » ; la nature religieuse de la philosophie est donc au coeur de cet idéalisme, qui ne peut vivre qu’en se distinguant dès le départ de tout mysticisme (comme c’était aussi le cas chez Spinoza, mais de manière certes moins claire) :

« Seulement, au lieu de choisir arbitrairement un type d’activité et de vider cette activité de toute espèce de contenu intelligible, de sorte qu’il ne puisse plus y en avoir que des symboles aveugles, elle conçoit cette activité sur le seul type qui soit accessible à l’intelligence, et qui permette, par suite, d’assigner à l’activité sa raison d’être, sur le type de l’activité intellectuelle. De même, elle ne refuse pas de considérer les paroles qui expriment au dehors la pensée ; mais il est vrai que si on s’en tenait à cette constatation extérieure, ces paroles n’auraient plus de valeur. En un mot, si elles prétendaient se suffire à elles-mêmes et se passer de principes intelligibles, la science de la pratique se confondrait avec le mysticisme, comme la psychologie empirique avec le verbalisme. C’est à la philosophie, telle que nous l’avons définie ici, qu’il appartient de donner la lumière à l’une, à l’autre le mouvement. »

la seule activité accessible à l’intelligence, c’est sa propre activité !

le caractère mathématique de la physique découle de là …

Il faut toujours revenir à ces lignes (et à ce livre) dès que l’on se sent prêt, par fatigue ou fascination pour les mystiques, ou les philosophes thomistes ou averroïstes, à céder et reculer d’un pouce et à transiger sur la nature de l’idéalisme philosophique, qui doit demeurer de manière intransigeante l’idéalisme mathématisant : puisque les idées mathématiques sont le modèle même des idées, où il n’y a aucune distance entre « celui qui réfléchit sur son activité » et cette activité elle même !

 

 

 

Roger Verneaux : histoire de la philosophie

http://books.google.fr/books?id=e1LWEugsiF8C&pg=PA95&lpg=PA95&dq=brunschvicg+sartre&source=bl&ots=F7EMhnn69o&sig=hlQAfc2_-AN1K7OvGMkGudOl5DA&hl=fr#v=onepage&q=brunschvicg%20sartre&f=false

ce livre est en lecture partielle sur Google, le chapitre consacré à l’idéalisme français va de la page 63 à la page 96, et il est accessible en sa plus grande partie.

Verneaux sépare l’idéalisme en deux grandes « régions » : les disciples de Hegel, dont les deux plus importants sont Renouvier et Hamelin; et ceux de Fichte, il étudie plus spécialement Lachelier et Brunschvicg.

Le rationalisme de Hegel peut être considéré comme absolu, mais il est aussi a priori, ce qui constitue la critique rédhibitoire de Brunschvicg.

Fichte, en tout cas le « premier » Fichte (celui de 1794-95) , conçoit la philosophie et la science, c’est à dire la recherche de la vérité, comme effort indéfini, il refuse de s’établir en un « monde spirituel » et de parler d’un Esprit Absolu qui SERAIT avant  la poursuite de la connaissance humaine et la transcenderait.

Brunschvicg se situe à mon avis exactement en cette ligne avec le « principe d’immanence » qui est posé dès sa thèse « La mondalité du jugement » et sur lequel il ne reviendra jamais.

Verneaux a donc raison de partir de ce principe dès la page 84, car toute la pensée de Brunschvicg y est en quelque sorte « enveloppée » :

« la connaissance constitue un monde qui est pour nous le monde. Au delà il n’y a rien : une chose qui serait au delà de la connaissance serait par définition l’inaccessible, l’inconnaissable, c’est à dire qu’elle équivaudrait pour nous au néant »

et il a raison aussi d’attendre la fin de l’article pour donner son « verdict » sur ce principe, qui est négatif puisque Verneaux est réaliste (et thomiste me semble t’il) :

page 95

« à notre avis il n’y a pas de faille dans l’idéalisme de Brunschvicg ; son seul défaut, mais il est rédhibitoire, est d’être idéaliste »

page 94 :

« Brunschvicg nous semble avoir porté l’idéalisme à son point de perfection…l’idéalisme a disparu de la scène philosophique avec lui »

voir aussi un intéressant parallèle avec l’existentialisme, qui doit à l’idéalisme brunschvicgien tout ce qu’il a de juste,  en fin de l’article page 95 : trois thèmes brunschvicgiens survivent dans l’existentialisme : l’absurdité du réel (qui correspond à la forme d’extériorité de « La modalité du jugement »), la création des valeurs (mais que Sartre conçoit comme le fait de la conscience individuelle, soit un « idéalisme subjectiviste » rejeté par Brunschvicg) et enfin la liberté de l’esprit.

On est ce qu’on se fait : mais, comme le fait remarquer fort justement Verneaux, Brunschvicg est intellectualiste et voit l’action de l’homme dans la science , la réflexion, la compréhension, bref la philosophie; ce n’est pas le cas de Sartre, qui tombe donc dans le matérialisme dialectique marxiste.

la paléogénétique révèle une humanité éclatée

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/09/13/la-paleogenetique-revele-une-humanite-eclatee_1760005_1650684.html

« La conception – politiquement essentielle – d’une humanité unique est en train de voler en éclats. Plus préoccupant, certaines des séquences génétiques héritées du métissage avec des hommes archaïques concernent des gènes gouvernant l’organisation cérébrale et impliqués dans le fonctionnement des synapses neuronales. Le débat sur la notion de race, sur l’égalité entre elles, que l’on espérait à jamais enterré, pourrait resurgir. Les humanistes devront être vigilants et veiller à ce que ces troublantes découvertes paléogénétiques ne deviennent pas des arguments aux mains des idéologues racistes. »

une découverte réellement scientifique ne doit jamais faire peur, car si elle est correctement comprise elle ne peut jamais entraîner au MAL.

En l’occurrence qu’y a t’il de nouveau qui soit révélé ici ?

au niveau philosophique et religieux, et donc politique si la politique est mise à sa juste place et libérée de toute idéologie (que celle ci soit « raciste » ou « antiraciste ») rien de nouveau !

l’humanité n’est pas UNE , ni unifiée, parce qu’elle DOIT être UNE: si elle était UNE, ou unifiée, la tâche de la philosophie et de la religion (= ce qui relie, donc l’Islam n’est certainement pas une religion) serait terminée.

Comme le dit Badiou après Platon, au début de « L’être et l’évènement » :

L’UN n’est pas

L’un doit être, donc il n’est pas.

Ce qui est, ce sont les étants…

et , comme le dit très bien Heidegger, l’Etre n’est pas un (super) étant, donc l’Etre n’est pas…

Mais celui qui va le plus loin dans la tâche salutaire d’éradication des erreurs qui mènent au MAL, c’est Brunschvicg :

« les trois propositions génératrices du scepticisme, de l’immoralisme, et de l’athéisme, sont : le vrai est, le bien est, Dieu est »

donc les découvertes déjà faites ou à venir ne doivent pas être source d’angoisse : évidemment que l’humanité n’est pas une, donc multiple…

d’ailleurs est ce mieux qu’elle se scinde en une multitude de « communautés religieuses » plutôt qu’en différentes races ?

Hitler disait :

« je sais très bien qu’il n’y a pas de races pures, mais je VEUX qu’il y en ait une , la race aryenne »

seulement ceci est la volonté du MAL : « séparer » une race qui devra dominer car « supérieure »..

est ce mieux de dire, comme le Coran aux versets 110, 111 et 112 de la sourate 3 :

http://islamfrance.free.fr/doc/coran/sourate/3.html

« 110.Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Allah. Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux, il y en a qui ont la foi, mais la plupart d’entre eux sont des pervers.

111.ils ne sauront jamais vous causer de grand mal, seulement une nuisance (par la langue); et s’ils vous combattent, ils vous tourneront le dos, et ils n’auront alors point de secours.

112. Où qu’ils se trouvent, ils sont frappés d’avilissement, à moins d’un secours providentiel d’Allah ou d’un pacte conclu avec les hommes,. Ils ont encouru la colère d’Allah, et les voilà frappés de malheur, pour n’avoir pas cru aux signes d’Allah, et assassiné injustement les prophètes, et aussi pour avoir désobéi et transgressé. »

dire qu’il y a une « meilleure communauté », c’est aussi dangereux que de dire qu’il y a une race supérieure…

Nous devons dire comme Hitler, mais de façon tournée vers le BIEN, en sens inverse donc :

Nous savons très bien que l’humanité n’est pas UNE, mais nous VOULONS qu’elle soit UNE, et nous voulons régler notre action en vue de la réalisation de ce vouloir.

Seulement ici attention ! Ce n’est pas en mélangeant les différents peuples, « races », ethnies et en détruisant ainsi les équilibres et les « cultures » que l’on ira dans le sens de l’unité humaine !

Bien au contraire !

Le meilleur moyen d’obtenir une humanité « éclatée », c’est de poursuivre voire amplifier les flux migratoires chaotiques actuels (qui visent le pur profit économique d’une minorité )

Laruelle : le dernier des évangiles

http://www.onphi.net/lettre-laruelle-pour-un-dernier-evangile-apocryphe-45.html

« Du bout d’un bâton traçons un cercle sur le sable d’une plage. Ainsi commence le philosophe qui se veut mathématicien. Mais il suffit que la plage soit grecque pour que le philosophe se retrouve enfermé dans le cercle qu’il a tracé sans s’en rendre compte autour de soi. C’est le miracle de la philosophie, enfermer les mathématiques pour mieux s’enfermer en soi-même. Elle commence comme mathématicienne et se retrouve comme magicienne victime de son propre tour. Viviane est une fée conteuse mais elle enferme Merlin dans une invisible prison de verre. Pendant longtemps le philosophe n’a cessé de tracer des cercles de plus en plus larges autour de lui jusqu’à ne plus les apercevoir. Cercles toujours « nulle part ». C’était l’âge heureux de la philosophie enchantée. L’histoire de la philosophie, lancée par Aristote à plein régime, a été l’effort de se rendre égal au monde, de rentrer dans le cercle herméneutique (Heidegger), avec le moins d’incohérence possible (Descartes) et le moins de restes possibles (Hegel). »

oui seulement s’il enferme les mathématiques il est enfermé dehors ! la philosophie ne saurait « faire des miracles » ni s’enchanter !

l’image du cercle et des dessins d’Archimède n’est pas bonne, car depuis la géométrie de Descartes justement est passée par là et a émancipé l’esprit des images de la spatialité au moyen d’équations…de nos jours cela aboutit à la géométrie des faisceaux.

Le philosophe ne se veut pas mathématicien, mais conscience réflexive du mathématicien : or la réflexion libère de tout enfermement.

« La non-philosophie est une autre solution. Elle ne sort pas du cercle, c’est impossible étant donné que celui qui veut en sortir est le même que celui qui s’y est enfermé. Elle n’y rentre pas davantage, ce serait vouloir rentrer sans en être vraiment sorti, par effraction, en brisant une porte qui reste intérieure. Elle inverse, au moins apparemment, les données du problème et peut donner l’impression qu’elle fait elle aussi de l’aménagement intérieur. Mais sa différence « spécifique » est de se tenir au plus proche de la psychanalyse et de la gnose, sa maxime n’est pas savoir que l’on ne sait pas, mais ne pas savoir que l’on sait. »

si je ne sais pas que je sais, je ne sais pas

lumière philosophique sur les évènements actuels en « terre d’Islam »

Le passage suivant tiré du dernier livre de Brunschvicg :

« Héritage de mots, héritage d’idées »

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/heritage_de_mots_idees/heritage_de_mots.html

me semble particulièrement éclairant, pour comprendre, sur le long terme, les relations entre « monde chrétien » et « monde musulman » , qui depuis quelques jours s’enflamment de nouveau à l’occasion d’un « film » de 13 minutes diffusé sur Youtube.

Le passage en question est au chapitre V : DIEU, Brunschvicg y oppose Pascal et Spinoza :

« Après les plus profondes méditations de mathématicien et de physicien, de psychologue et de moraliste, Pascal conclut au contraste, que son génie met dans un relief saisissant entre la « superbe diabolique » de la raison et un conformisme littéral et total, une soumission humble à la folie de la croix : « La Sagesse (note-t-il sous l’autorité de saint Mathieu) nous envoie à l’enfance. » Exactement à la même époque Spinoza, chrétien vis-à-vis de lui-même sinon des autres, ne témoigne pas d’une adhésion moins directe à l’esprit de l’Évangile lorsqu’il se règle sur la parole qui coupe court aux tentations de retour en arrière : « Vous laisserez les morts ensevelir  les morts. » La nouveauté du Nouveau Testament ne sera plus qu’il succède à l’Ancien dont il prolonge les miracles et dont il accomplit les prophéties ; car il serait alors menacé de succomber à son tour par le simple effet d’un inévitable vieillissement ; c’est qu’il a proclamé la rupture complète avec le temps, c’est qu’il a introduit l’homme dans la région des vérités éternelles. Dieu y est considéré selon la pureté de son essence, délivré des attaches empiriques qui subordonneraient son existence et sa nature aux cadres mesquins d’une chronologie et d’une géographie. La raison, qui déjà dans le domaine scientifique fait la preuve de son aptitude à prendre possession de l’infini, ouvre la voie du salut et donne accès à la béatitude.

L’œuvre de Pascal et l’œuvre de Spinoza figurent comme les deux extrémités de la pensée religieuse. »

et, page 56 :

« Jules Lagneau, dans ses Leçons sur l’existence de Dieu pose le problème : « Affirmer que Dieu n’existe pas est le propre d’un esprit qui identifie l’idée de Dieu avec les idées qu’on s’en fait généralement et qui lui paraissent contraires aux exigences soit de la science soit de la conscience. » La confusion des vocabulaires risque de lier à un même sort, d’entraîner dans une chute commune, la religion conçue comme fonction suprême de la vie spirituelle et les religions données dans l’histoire en tant qu’institutions sociales. Celles-ci comportent un Dieu particulier qu’on désignera par un « nom propre » ; son culte et ses attributs sont définis dans des formules de symboles qui sont naturellement conditionnées par le degré où la civilisation était parvenue à l’époque de leur énoncé. Le progrès du savoir scientifique et le raffinement de la conscience morale se tournent alors en des menaces contre la tradition des dogmes qui tenteront d’y échapper par le saut brusque dans le mystère de la transcendance. Pourtant, si la science porte avec elle la norme du vrai comme la conscience morale la norme du bien, le devoir de la pensée religieuse est d’en chercher l’appui bien plutôt que d’en fuir le contrôle. »

La compréhension de ce texte (dont la difficulté n’est pas dans la forme, mais dans le sens de fond) permet de comprendre deux choses fondamentales :

1- la rupture de niveau entre « ancien » et « nouveau » testament, donc entre judaïsme et christianisme, mais attention : en ce qui concerne l’esprit !

la tragédie du christianisme, (ou plutôt des christianismes , en tant que cultes) est qu’il a été impuissant à s’élever au niveau du « nouveau » testament, et à accéder à la « région des vérités éternelles » (qui est celle de la philosophie)

2- comme corollaire du point 1 : l’inanité, et donc l’imposture, de toute « révélation » se présentant comme venant compléter ou rectifier les deux révélations « précédentes »; et donc l’imposture du Coran..

puisque si l’on entre dans la région des « vérités éternelles », il n’y a plus de « précédent » : soit l’on fait de la philosophie, soit l’on fait de la sociologie…

il est évidemment impossible de « blasphémer » ce qui est vraiment éternel : donc quelqu’un qui voudrait « insulter » le « nouveau testament » manquerait totalement le sens de ce livre.

Comme disait Brunschvicg :

« l’esprit se refuse au Dieu du mystère comme au Dieu des armées »

le « Dieu » (prétendûment unique!) des « guerres de religions » n’a aucun rapport avec la religion, qui EST, dans un sens supérieur, la philosophie , celle que Brunschvicg appelle « christianisme des philosophes ».

Tout « dialogue » entre « civilisations » (sous entendu : occidentale et islamique) sur les trois religions dites « du Livre » ne peut donc être qu’un dialogue de sourds : les occidentaux ont perdu le contact (s’ils l’on jamais eu !) avec la « région des vérités éternelles », et les musulmans s’imaginent y avoir accès, alors qu’ils se situent dans celle de la sociologie et de la géographie : « vérité au sud, erreur au nord »…

Les juifs du lycée Condorcet dans la tourmente

On lira avec intérêt cet article sur les juifs, célèbres ou non, du lycée Condorcet, et sur leur funeste destin sous l’occupation allemande:

http://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-4-page-81.htm

la forte présence juive dans ce lycée date de la fin du second empire, elle coîncide pour ainsi dire avec la IIIème République :

« Depuis la fin du Second Empire, le lycée Condorcet occupe une place à part dans l’histoire de l’intelligentsia juive en France : il suffit de rappeler que James Darmesteter, Gustave Bloch, Joseph Salomon et Théodore Reinach, Henri Bergson, Victor Basch, Henri Hauser, Élie et Daniel Halévy, Léon Brunschvicg, Marcel Proust, Tristan Bernard, Georges Mandel, Emmanuel Berl, Raymond Aron, Claude Lévi-Strauss y ont fait tout ou partie de leurs études. Autant dire que la contribution des juifs à l’histoire intellectuelle du lycée est tout à fait exceptionnelle »

Trois des intellectuels formés à cette époque  symbolisent en quelque sorte la IIIème république :

« Sans être aussi célèbres que Bergson, Gustave Bloch, Henri Hauser et Léon Brunschvicg furent trois des plus grands universitaires français de la Troisième République. Gustave Bloch devint un éminent professeur d’histoire romaine. Par une ironie cruelle, le père du plus grand historien français du 20e siècle, Marc Bloch, fut le maître à l’École normale de Jérôme Carcopino, futur ministre de l’Éducation nationale de Vichy. Henri Hauser devint le premier titulaire d’une chaire d’histoire économique à la faculté des lettres de Paris en 1927 et l’auteur d’une Prépondérance espagnole (1933) utilisée par des générations d’étudiants. Quant à Léon Brunschvicg, grand éditeur de Pascal, il fonda en 1893 la Revue de métaphysique et de morale avec plusieurs camarades de Condorcet et régna sur la philosophie universitaire en France durant l’entre-deux-guerres. La voie tracée par Brunschvicg était encore empruntée, dans les années 1930, par de jeunes et brillants agrégés de philosophie passés par la khâgne de Condorcet, Raymond Aron, Albert Lautman et Claude Lévi-Strauss. »

Claude Lévi-Strauss et  Raymond Aron sont les plus connus, mais rappelons qu’Albert Lautman et Jean Cavaillès, tous deux élèves de Brunschvicg , s’impliquèrent fortement dans la résistance et furent fusillés par les nazis. C’est fort dommage pour la philosophie, car ils étaient les deux élèves les plus fidèles de Brunschvicg, réalisant la sybiose de la philosophie et de la pensée logico-mathématique, et poursuivant l’investigation du spinozisme (surtout Cavaillès).

Raymond Aron, quant à lui, fasciné (comme tous les autres, sans exception, même Sartre et Nizan, dont la fascination se traduisit en hostilité déclarée) par l’enseignement de Brunschvicg (qui était plus un Maître spirituel de la stature de Socrate, mais d’un Socrate qui aurait publié des livres, que d’un fonctionnaire), explique dans ses Mémoires ses efforts pour se « libérer » de cette emprise intellectuelle : efforts couronnés de succès, hélas, pour le malheur de la France des années d’après guerre et des « trente (prétendues) glorieuses ». Quant à Levi-Strauss, inutile d’épiloguer, il représente à peu près l’anti-Brunschvicg, et c’est bien son droit…et il y a quand même des choses à recueillir chez lui, notamment ce qu’il dit de l’Islam, sur lequel il ne s’est jamais fait aucune illusion…

Il y a aussi les « mondains » :

« Marcel Proust nous fournit l’archétype du mondain, ou de l’amateur Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, Paris, Gallimard, 1996. Demi-juif (par sa mère, née Jeanne Weil), cet héritier a fait ses humanités au lycée entre 1882 et 1889 et y a découvert sa vocation littéraire. Cette mouvance de juifs artistes, où l’on trouve aussi Robert Dreyfus et Jacques Bizet….À mi-chemin des doctes et des mondains se rencontrent deux fratries particulièrement remarquables, les Halévy et les Reinach Sébastien Laurent, Daniel Halévy. Élie et Daniel Halévy, fils du librettiste d’Offenbach et élèves du lycée en même temps que Marcel Proust, d’origine juive par leur père et protestante par leur mère, sont assez représentatifs d’une certaine grande bourgeoisie intellectuelle passée par Condorcet, assez facilement libérale et anglophile mais susceptible d’évoluer vers la droite et le traditionalisme. »

Ce passage rappelle l’idéal d’assimilation, hélas disparu après-guerre, et l’amour de la culture européenne, qui étaient présents chez les juifs français depuis la Révolution, et ont permis leur accession rapide aux premiers rangs des sphères de l’esprit :

« Les familles juives dont les enfants vont à Condorcet sont pour une minorité issues de la grande bourgeoisie financière du 8e arrondissement, mais appartiennent le plus souvent à la moyenne bourgeoisie libérale et commerçante de l’Ouest parisien et de la banlieue ouest.
 Elles voient dans les études classiques un moyen d’intégration et de promotion dans la société française : souvent déjudaïsées ou peu pratiquantes, elles aiment passionnément la culture française et veulent que leurs enfants non seulement assimilent cette culture, mais qu’ils soient capables de l’enrichir à leur tour. D’où l’intérêt particulier des juifs de Condorcet pour la culture vivante ; d’où aussi la réputation d’intellectualisme faite au lycée par Albert Thibaudet lorsqu’il affirme que la marque propre aux « jeunes Juifs de Condorcet » entrés en littérature est d’avoir été meilleurs philosophes que rhétoriciens . Du coup, Condorcet est sans doute l’un des seuls lycées de France qui se puissent comparer aux grands lycées viennois d’avant 1938, lieu d’intégration culturelle et sociale mais aussi de stimulation critique et d’initiation esthétique »

Rappelons aussi que le polytechnicien Alfred Dreyfus était d’un nationalisme sincère et d’une fidélité sans faille à la France, et se classerait sans doute aujourd’hui…en tout cas très loin de BHL, et assez près d’Eric Zemmour !

Et tout ceci a complètement volé en éclats avec la catastrophe de 1940 !

Sur le destin de Léon Brunschvicg pour ses qutre dernières années de vie, de juin 1940 où, parce que né juif,  il dût fuir Paris avec son épouse Cécile Kahn-Brunschvicg (qui avait été secrétaire d’Etat sous Léon Blum, c’était sans doute un motif supplémentaire pour fuir) jusqu’à sa mort  le 18 janvier 1944, nous avons sur le web un excellent article : « Destin d’un philosophe sous l’occupation » :

http://publications.univ-provence.fr/ddb/document.php?id=87

que j’ai commenté ici :

https://leonbrunschvicg.wordpress.com/brunschvicg-destin-dun-philosophe-sous-loccupation/

Un article à lire, relire et méditer sans cesse, parce qu’il montre que la philosophie, quand elle est véritable et engage toute la vie, comme chez Brunschvicg, Platon, Descartes, ou Spinoza, surmonte les épreuves quelles qu’elles soient, et répond à la question initiale qu’il se pose :

«et que devient la vie pour qui professe l’idéalisme pour de bon, avec toutes ses conséquences ? »

Il n’était évidemment pas question pour un homme de 71 ans de sauter en parachute, mais Brunschvicg ne céda jamais d’un pouce au désespoir :

« Plus généralement, Brunschvicg affichait auprès de ses interlocuteurs, avec une constance, peut-être un peu forcée à certains moments, une sérénité d’âme et une confiance absolue dans un futur meilleur :

     «[…] les amis des idées éternelles, s’ils n’ont pas su suffisamment, comme vous me l’écriviez, compter sur le facteur temps, ont maintenant conscience de ce qui est réclamé d’eux et le dernier mot restera au droit de l’humanité ? Nous vivons de cela, et pour cela […]. 13»

Presque invariablement, il offrait à ses proches la certitude que la raison triompherait de la barbarie et s’imposerait aux « trognes armées » selon le mot de Pascal. …

Fondamentalement, Brunschvicg tenait pour l’idéal platonicien d’un bonheur lié à la connaissance des choses vraies, rassemblées et reliées par la longue chaîne des idées scientifiques que l’Humanité pensante avait su forger au cours de son histoire. Le désordre (l’absurde) devait être surmonté nécessairement par l’ordre, révélé et mis à jour continuellement par les progrès des sciences positives et la prise de conscience de la portée de leur succès. Dans ces années de déréliction de l’Humanité où la question du Dieu absent est souvent montée aux lèvres, Brunschvicg aurait répondu comme dans son Agenda du 19 octobre 1942 :

« Le vrai Dieu sera non une cause, mais un but»

Nous n’admettons donc aucunement les objections de raymond Aron, formulées dès sa thèse en 1938 lors de son entreprise d’ « auto-libération » :

« Que penser alors de cette sagesse se demandait Aron, quand elle s’avérait impuissante à mordre sur le réel, indifférente dans une certaine mesure aux situations et aux faits, préoccupée seulement par leur seule valeur dans le domaine du vrai ? »

Mais nous serons entièrement d’accord avec sa splendide formule, lors de la conférence en l’honneur de Brunschvicg à Londres en avril 1944 :

« Nous tâcherons d’armer la Sagesse« 

Oui, la seule arme de Brunschvicg, c’était le Verbe, qui est le LOGOS, le CHRIST des philosophes, et son amour de l’ORDRE, qui est hérité de Malebranche; pas l’ordre social capitaliste, comme dans la mauvaise interprétation de Sartre et surtout de Nizan dans les « Chiens de garde » en 1932.

Non, l’ORDRE divin.

Mais évidemment, cela ne veut rien dire, pour quelqu’un qui a écrit à la fin de « L’être et le néant » que la notion (cartésienne et spinoziste)  de Dieu comme « causa sui » est contradictoire et que : « l’homme qui veut se perdre en Christ se perd en vain; l’homme est une passion inutile« 

Brunschvicg n’est pas un chien de garde, mais un Homme véritable, un Mensch.

Et nul doute que le nazisme n’ait été…le désordre absolu !

Le Verbe et l’ORDRE suffit, puisqu’il est DIEU; pas besoin d’ (autres) armes.

Seulement il se passe que l’époque de l’ après-guerre est celle du nihilisme, des cortèges dionysiaques et des manifs en tous genres, de la mort et de l’effacement de l’homme (forcément : une passion inutile, on vous le dit !), celle où il faut adjoindre à l’arme absolue qui est l’Absolu de la Vérité, des armes de…terreur absolue…

reconnaissons le et tirons en les conséquences : oui, tâchons d’armer la sagesse !

Orient et Occident ?

L’Orient, de loin, c’est quelque chose. De près, c’est beaucoup de choses, les unes que l’Occident a connues, et les autres qu’il ne connaît pas, dont l’Orient lui-même est loin d’avoir jamais pris conscience

le début de “L’humanisme de l’Occident” de Brunschvicg :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/ecrits_philosophiques_t1/ecrits_philosophiques_t1.html

est en quelque sorte un prodigieux survol de 2000 ans de philosophie et de religions, qui avait été pour moi analogue à un “coup de tonnerre” (éveilleur, salvateur) lorsque je l’avais lu pour la première fois il y a bien longtemps.

La seule boussole qui doit nous orienter ici  peut se résumer par ce principe fondamental du malebranchisme et du cartésianisme :

suivre uniquement les idées claires, lumineuses, évidentes, et laisser de côté les idées confuses

facile à dire, mais quand on prend conscience que la quasi totalité de nos “idées” est constituée d’idées confuses, à un degré ou un autre…

Brunschvicg, dans cet ouvrage et bien d’autres, lit et commente Descartes, Malebranche et Spinoza, rien de plus indiqué que de commencer par étudier à fond ce qu’il dit, pour vraiment comprendre l’enjeu de ces études, qui est immense, j’en suis certain…

La civilisation d’Occident affleure, dans l’histoire, avec l’arithmétique de Pythagore, avec la maïeutique de Socrate. Et certes, à travers les siècles de la décadence hellénistique, Pythagore et Socrate retomberont au niveau où les légendes orientales laissent leurs héros : ils deviendront maîtres de divination ou faiseurs de miracles. Cependant il suffit de savoir qu’un schisme s’est produit effectivement à l’intérieur de l’école pythagoricienne, entre acousmatiques et mathématiciens, c’est-à-dire entre traditionalistes de la fides ex auditu et rationalistes de la veritas ex intellectu, pour avoir l’assurance que, bien avant l’ère chrétienne, l’Europe a conçu l’alternative de la théosophie et de la philosophie sous une forme équivalente à celle qui se pose devant la pensée contemporaine

“Et la même opposition, Orient et Occident pour parler un langage géographique, mais qui est aussi moyen âge et civilisation du point de vue historique, enfant et homme du point de vue pédagogique, a fait le fond de la littérature platonicienne. Quel est le rapport de la mythologie, fixée par le « Moyen âge homérique », à la dialectique issue des progrès de la mathématique ? Le problème s’est resserré sur le terrain de l’astronomie où devaient entrer en conflit, d’une façon décisive, le spiritualisme absolu de Platon et le réalisme d’Aristote. La valeur essentielle de la science, suivant Platon, est dans son pouvoir d’affranchissement à l’égard de l’imagination spatiale. Telle est la doctrine qui est au centre de la République. Selon le VIIe Livre, l’arithmétique et la géométrie ont une tout autre destinée que d’aider les marchands dans leur commerce ou les stratèges dans la manœuvre des armées ; elles élèvent l’âme au-dessus des choses périssables en lui faisant connaître ce qui est toujours ; elles l’obligent à porter en haut son regard, au lieu de l’abaisser, comme on le fait d’habitude, sur les choses d’ici-bas

Brunschvicg et Malebranche

la notion de “christianisme de philosophes” se trouve chez Brunschvicg, qui la fait remonter à Spinoza.

Il s’agit  de prendre conscience de l’entrelacement, depuis le début, de la philosophie grecque et du judeo-christianisme, évident chez un Saint Augustin ou un Philon d’Alexandrie .

Mais, tel qu’il est conçu chez Brunschvicg et tous les philosophes de cette époque d’avant-guerre appartenant à la tendance idéaliste appelée “philosophie de l’esprit”, ce christianisme de philosophes ne saurait être confondu avec la “philosophie chrétienne”, qui est par exemple celle du Blondel ou d’un Gabriel Marcel (ou de Levinas du côté juif). Les éléments dits “mythiques” sont laissés de côté, sur le versant de la “foi”, seul le versant “raison” est conservé.

Mais alors se pose la question du statut de l’oeuvre de Malebranche, que Brunschvicg considère presqu’à l’égal de Descartes et Spinoza.

Philosophie chrétienne ? oui, assurément, s’agissant du Père Malebranche. Un philosophe que beaucoup appellent “méditatif”, par opposition à “dialectique” (comme Arnaud).

Christianisme de philosophe ? aussi !

L’article de Boutroux sur l’intellectualisme de Malebranche met l’accent sur le second Malebranche, rationaliste indéfectible, mais il me semble qu’il laisse une passerelle vers Malebranche comme “philosophe chrétien”.

http://fr.wikisource.org/wiki/L%27Intellectualisme_de_Malebranche

La philosophie de Malebranche est essentiellement intellectualiste. Ce disciple de Descartes n’aborde aucune recherche, qu’il ne s’engage à rejeter toute notion dépourvue d’évidence rationnelle. Excepte-t-il les vérités de la foi ? Délibérément il a fait de la raison le principe, non seulement de toute science, mais de la morale, et de la religion même. La religion, pour lui, n’est qu’une forme, adaptée à la condition humaine, de la métaphysique.

Nous voyons en Dieu tout ce que nous connaissons véritablement ; connaître le monde, c’est le concevoir par rapport à l’étendue intelligible qui réside en Dieu même, c’est le réduire en éléments mathématiques. Dieu, chez Malebranche, est toute lumière, toute vérité, tout ordre, c’est-à-dire qu’il contente, universellement et absolument, cette raison parfaite qui, comme seconde personne de la Trinité, est son essence même.

Rien de plus certain que le caractère intellectualiste de la philosophie de Malebranche. Mais il est intéressant de se demander quelle est, au juste, la nature de cette intelligence, de cette raison, à laquelle, sans restriction, Malebranche soumet toutes choses et Dieu lui-même.”