le haricot de Brunschvicg

 

     

 Dans ce livre, disponible en lecture partielle sur Google :

Le philosophe et la théologie

Etienne Gilson raconte sa jeunesse et son éducation philosophique, sous les auspices de Léon Brunschvicg  :

http://books.google.fr/books?id=b1h629TmxxAC&pg=PA31&lpg=PA31&dq=Brunschvicg+evangile+Jean&source=bl&ots=LryGH9HNxU&sig=yy2Xgrb_A1VVdPrANQ8f1aQnBKQ&hl=fr&sa=X&oi=book_result&resnum=4&ct=result#PPA32,M1

On sait que Brunschvicg cite souvent certains passages des Evangiles, surtout celui de Jean, et qu’il déplore que le christianisme historique n’ait pas été à la hauteur de la religion du Verbe qu’il est en fait. Il rejoint ainsi Fichte, qui voit dans le Prologue de l’Evangile de Jean toute la philosophie éternelle en germe.

Dans “Le christianisme et les philosophes”, le R P Sertillanges donne quittance à Brunschvicg du fait qu’il place toujours le Nouveau Testament bien au dessus de l’Ancien : le Dieu en esprit et en vérité, le Dieu qui est le Verbe immanent à toute conscience humaine, ce que la théologie catholique nomme « Le Fils », et que l’Islam persiste contre toute raison à concevoir sur le mode charnel , mondain et anthropomorphique….et donc à condamner, sans comprendre !

Gilson confirme ici (pages 29 à 32 entre autres) que Brunschvicg a répudié le judaïsme jusque dans le christianisme (on ne parle évidemment pas ici de conversion, alors que Bergson voulait bel et bien se faire catholique, mais y a renoncé pour ne pas paraitre abandonner ses frères au moment des persécutions hitlériennes).

Ce qu’il nous reprochait à nous autres catholiques” (c’est Gilson qui parle de Brunschvicg), “c’est d’être encore trop juifs”.

Mais Brunschvicg, dans sa simplicité et sa sincérité, raconte à Gilson le moment exact où il s’est libéré de la “prison juive” (ainsi que l’appelle Jean Daniel) : “c’était au moment du jeûne : pou s’assurer qu’il ne cédait pas à un appétit bien naturel, notre philosophe mangea un haricot, UN SEUL (Brunschvicg appuyait sur “un”, car l’unicité de ce corps du délit lui garantissait la pureté de l’acte)..

Gilson :

j’essayai alors de lui faire comprendre  que l’idéalité même de sa rébellion était encore un triomphe du Lévitique”..

puis il se demande : “Quel est donc ce Dieu en esprit et en vérité auquel on se consace en mangeant un haricot, et un seul ?”

Il se pourrait bien que Gilson ait manqué là la signification pour la postérité de ce qui est peut être l’un des plus importants “sermons” (à la manière d’un koan zen) philosophiques.

Oui, il se pourrait que Brunschvicg nous lègue là, à nous autres pauvres ombres perdues dans les ténèbres du 21 ème siècle, de sa barbarie et de ses guerres religieuses qui reviennent, un héritage magnifique, un symbole qui sauve…

Dans ses Essais sur le bouddhisme Zen, Suzuki raconte souvent la façon dont un élève, après des années de travail infructueux encore qu’acharné, rencontre l’illumination (satori) en recevant un coup de bâton du Maitre, ou à l’occasion d’une parole en apparence futile de celui ci…

Il me semble bien vivre ici, avec Brunschvicg et son haricot, l’un de ces moments privilégiés…

comment Gilson ne comprend il pas que Brunschvicg échappe justement là, avec ce haricot UNIQUE, au grand danger que courent ceux qui veulent s’émanciper des aspects charnels de toute « loi » reçue par tradition ?

ce danger étant la chute dans la luxure, la gloutonnerie, et finalement le nihilisme !

on en a justement des exemples historiques fameux, concernant le judaïsme et l’Islam (l’Islam n’étant que du judaïsme simplifié et « universalisé », et la prison islamique étant bien plus pénible que la juive) :

– pour le judaïsme, les hérésies sabbatéenne et frankiste, issues des « péripéties » entourant l’existence du « Messie apostat » (converti à l’Islam sous la menace du sultan) de Smyrne, Shabbataï Tsevi, et de son « continuateur » polonais (converti lui au catholicisme) Jacob Frank (dont le grand érudit Gershom Scholem affirme qu’il est « la figure la plus terrifiante de toute l’histoire juive » !!):

http://fr.wikipedia.org/wiki/Sabbata%C3%AF_Tsevi

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacob_Franck

-et pour l’Islam la « grande résurrection d’Alamut » et son « imam » Hasan Sabbah :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Isma%C3%A9lisme

notons que tous ces « réformateurs » sont adulés par nos actuels intellectuels (de gauche et « émancipateurs » généralement), ainsi la « kabbale » de Jacob Frank inspire le mouvement « Tiqqun » et des gens tels que Julien Coupat, tandis que l’ismaélisme d’Alamut est étudié et admiré par Christian Jambet.

Seulement nous savons d’après l’histoire que le « messie » Shabbataï Tsevi avait épousé une prostituée qu’il « prêtait » à l’occasion à ses disciples ou à des hommes qu’il voulait convertir à sa cause…Jacob Frank faisait de même, et tous ces « pieux croyants » ne dédaignaient pas à l’occasion de célébrer des rites sexuels assez « chauds » en mettant leurs femmes en commun…pratiques qui semblent se poursuivre encore aujourd’hui chez les « Donmeh » de Turquie ou d’autres sectes sabbatéennes ou frankistes…

le « danger » dont je parle est donc de passer de la plus extrême rigueur (maintenue au moyen des menaces légales, coups de fouet et lapidation) à la plus extrême licence.

Je suis pour ma part persuadé qu’il doit exister un moyen terme entre l’abstinence totale (forcée ou non) et la partouze généralisée (se cachant ou pas sous des déguisements « spirituels » et « tantriques » ou « soufis »).

Mais ce ne sont là que considérations accessoires : l’enjeu principal repose en cette évidence, que des systèmes religieux ou « spirituels » fondés sur la primauté de la loi, considérée comme émanant d’une source transcendante (et non pas comme à notre époque d’assemblées purement humaines) sont « inférieurs » à d’autres faisant appel à la raison immanente comme conduisant à la vertu par le dépassement de soi.

Pour dire les choses encore plus clairement : la chasteté ou le « comportement vertueux » imposés (comme dans le cas de l’Islam) par la menace de punitions (légales ou dans l’au delà) n’apporte aucun progrès spirituel, mais seulement ressentiment, et violences sociales, alors que la recherche du progrès moral dans la liberté intérieure , ce qui est le système chrétien, du moins théoriquement, aboutit à l’autonomie et à l’amour universel.

La grande supériorité du christianisme tient toute entière en le fameux :

« rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu »

qui est aussi le fondement de la laïcité véritable.

Cette supériorité du christianisme tient au fait qu’il a adopté le système juridique qu’il a trouvé, à savoir le droit romain, et n’a pas établi une prétendue « loi divine », la seule loi étant la loi d’amour :

« aime ton prochain comme toi même, et Dieu par dessus tout »

puisque « Dieu » est ce centre lumineux de la conscience qui fait que le prochain…est vraiment le prochain, celui qui est aimable et non à tuer.

C’est pour cette raison que Brunschvicg parle d’un « christianisme de philosophes », dont le parfait exemple est Spinoza , chassé de la « communauté juive » par le terrible herem de 1656 :

 https://leonbrunschvicg.wordpress.com/le-herem-de-spinoza/

et jamais d’un Islam ou d’un judaïsme des philosophes.

Le haricot unique de Brunschvicg me semble donc paerfaitement applicable par des musulmans ou musulmanes qui voudraient se libérer, à l’occasion du Ramadan (exemple parfait d’une coutume traditionnelle tyrannique et allant contre la vie religieuse et spirituelle véritables), de leur « prison musulmane » : casser le ramadan en mangeant juste une bouchée de pain, ou en buvant juste un verre d’eau (et certainement pas de bière ou de whisky : nous ne cherchons pas la provocation, mais le progrès de la conscience), c’est la sortie parfaite hors de la prison; mais pas plus, sinon cela risquerait d’être une régression vers la gloutonnerie.

Et quant au sexe, c’est un sujet trop complexe, ce sera pour plus tard …

ou jamais

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