Le Dieu de la réflexion autonome et le Dieu de la tradition ethnique

Dans sa réponse aux objections de Gilson lors de la « querelle de l’athéisme » de1928 que nous avons déjà commencé à méditer, Brunschvicg aborde plusieurs des thèmes que nous avosn abordés récemment, la conception de la vérité mathématique et l’incompatibilité entre le Dieu des religions (monothéistes) et le Dieu des philosophes :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/vraie_et_fausse_conversion/vraie_et_fausse_conversion.html

page 192 et suivantes :

« Le philosophe, en allant au bout de sa pensée, en imposant au principe de communion qui est intelligence et amour une condition stricte de vérité spirituelle, ne risque-t-il pas de briser ce principe lui-même, sinon dans sa raison d’être éternelle, du moins dans son efficacité immédiate ? La philosophie fait-elle œuvre salutaire, lorsqu’elle dissout l’amas de traditions et de légendes qui maintiennent la cohésion d’une société donnée ? »

la réponse est OUI, et si les abrutis qui manifestent actuellement , en tuant des innocents, contre un film d’une médiocrité absolue qui vise seulement à la provocation , avaient un tant soit peu d’intelligence, ils s’en prendraient plutôt… aux philosophes, bien plus dangereux pour l’idolâtrie des dogmes que des dessins ou des films blasphémateurs.

sauf que les philosophes véritables dont parle ici Brunschvicg n’existent pratiquement plus de nos jours.

Mais ils ont existé, Brunschvicg cite Platon et Fichte, en signalant toutefois leur manque de courage pour aller jusqu’au bout, sans concession aucune aux traditions et mythologies :

« Sur ce point, les penseurs qui ont le mieux défini les conditions d’un idéalisme authentique, l’auteur du livre VII de la République et l’auteur de la première Wissenschaftslehre ont senti leur courage fléchir. Platon a consenti à la mythologie du Phèdre et du Phédon, à ce récit d’une chute initiale et à cette espérance d’une immortalité psychique, qui ont été promus plus tard à la dignité de dogmes. Fichte s’est résigné à dégrader le Verbe dans le plan biologique, à faire du savoir quelque chose de second par rapport à l’Être du Non-Savoir. J’ai cherché par contre, ce qui arrive au XXe siècle, après trois siècles de civilisation, pour un philosophe qui résiste à une tentation dont je suis le premier à dire qu’elle est une tentation humaine, trop humaine. Et ici je me suis trouvé en face de l’alternative que vous n’acceptez pas : ou sociologie ou philosophie — le Dieu d’une tradition ethnique ou le Dieu de la réflexion autonome. »

tous deux ont cédé à la tentation de « dégrader le Verbe » (symbolisé par le Christ) dans le plan biologique ou psychique : or le spirituel est au dessus de la matière, de la vie, et de l’âme (psyché), matière et vie qui sont la « fatalité qui s’impose à nous » selon Brunschvicg.

Et Pascal dans tout ça ?

Pascal que Brunschvicg a tellement admiré toute sa vie qu’il a consacré une grande partie de celle ci à l’édition de ses oeuvres…

et pourtant ils s’opposent comme le jour et la nuit !

pas si sûr !

car  Pascal  remplit un rôle très précis dans l’économie de la pensée religieuse brunschvicgienne :

« J’ai donc fait usage des paroles de Pascal, parce qu’elles devaient me servir, plus que toute autre, à mettre en lumière l’objectivité du problème qui domine la conscience religieuse depuis que science et philosophie ont repris une signification claire et distincte.

Je n’ai naturellement pas à rechercher ici dans quelle mesure la pensée de Pascal peut se réduire à l’interprétation de l’Ancien Testament. À moins que le mysticisme ne soit rien de plus que la participation à des représentations collectives, Pascal n’est point du tout un mystique : nul ne s’est davantage refusé à la certitude et à la joie de la vie unitive qui passerait, fût-ce dans un moment d’extase, par-dessus la nécessité de l’exercice et nous donnerait l’illusion la plus dangereuse pour le salut, celle d’avoir franchi dès ici-bas la distance entre le jugement de Dieu, toujours suspendu dans sa terrible incertitude, et l’indignité radicale de la créature. »

Pascal n’est pas un mystique, contrairement à ce qu’affirme Michel Serre qui disait l’autre jour sur France Info que Pascal est la preuve vivante que l’on peut être à la fois un grand scientifique et un grand mystique.

Pascal est quand même, d’une certaine façon, « du côté » de Brunschvicg en ce qu’il refuse de céder sur la nécessité continuelle de l’effort qui est proprement la religion philosophique.

C’est, peut être, le sens philosophique (?) de l’aventure de Moïse qui meurt avant d’entrer en Terre Promise.

La Terre promise, ce serait l’épiphanie de la vérité, qui ne viendra jamais comme le dit Badiou.

La vérité c’est l’effort vers la vérité, la recherche de la vérité : personne ne pourra jamais se vanter de la détenir dans le creux de la main, sauf les chefs de sectes …

tel est le sens de l’idéalisme véritable :

« à l’idéal d’une création absolue telle que l’imagination la figurait en Dieu, il s’agit de substituer la réalité d’une création humaine, dans les conditions où effectivement elle est expérimentée et vérifiée. La substitution de l’idéalisme au réalisme, c’est pour moi, en dépit des mauvaises habitudes du langage vulgaire, la substitution de cette réalité à cet idéal. Si donc je regrette peu l’idéalisme de l’a priori, c’est pour la raison qui fait peut-être que vous me l’attribuez, parce qu’il est une simple contrefaçon du réalisme. Et, afin de bien vous convaincre que vous n’êtes pas en face d’une parade improvisée à vos questions, tout inattendues qu’elles sont pour moi, je me permets de vous rappeler un livre, écrit il y a bien longtemps, qui reposait tout entier sur la dualité irréductible des fonctions du Verbe : le Verbe de l’extériorité objective et le Verbe de l’intériorité intellectuelle, entre lesquelles actions et réactions incessantes provoquent le progrès de l’esprit. Je suis idéaliste, parce que l’idéalisme est la seule doctrine qui ne rencontre aucune difficulté, qui n’apporte aucune réserve, dans la définition de l’être par le progrès.

Vous voyez donc pourquoi je n’accepte pas le principe de vos objections. Pour vous, avant que les mathématiciens aient commencé leurs calculs théoriques, avant que les physiciens se soient enfermés dans leur laboratoire, il y avait, écrit quelque part, un manuel complet de mathématique absolue et de physique intégrale, un manuel dont le premier homme aurait pu avoir l’intuition immédiate, s’il était demeuré plus docile à l’ordre reçu de Dieu, et dont il est encore à espérer que plus tard, ailleurs que sur terre, quelques-uns d’entre nous obtiendront la révélation lumineuse. Et alors ce manuel, qu’aucun de nous ne possède, vous croyez pouvoir vous en servir comme d’un système sûr de référence, et vous le brandissez devant l’esprit humain pour l’enfermer dans une sorte de dilemme : ou il le connaît tout de suite dans sa totalité ou il n’en connaîtra jamais rien. Vous vous plaignez, ou plutôt vous me plaignez, parce que j’ai travaillé à une histoire de la pensée, sans avoir su justifier que la raison eût une histoire. À vrai dire, j’avais l’impression que c’était ce que j’avais fait à chacune des pages ou, si vous aimez mieux, à chacune des lignes que j’ai pu écrire. Elles tendent toutes à la démonstration d’une thèse unique : c’est dans l’histoire que l’esprit conquiert, naturellement et nécessairement, la conscience de son éternelle actualité. »

ce manuel , ce n’est autre que le « Coran céleste » : un pur fantasme !

il est vrai que même les mathématiciens lui donnent un nom , par exemple dans le très beau livre :

« Proofs from THE BOOK »

http://en.wikipedia.org/wiki/Proofs_from_THE_BOOK

http://www.iecn.u-nancy.fr/~chassain/djvu/Proofs-from-the-Book-2004.pdf

mais ce n’est justement là qu’un nom !

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