mécanique, statique, dynamique et géométrie

Au premier chapitre des « Ages de l’intelligence », Brunschvicg, citant Alain, met en garde contre la précipitation et la hâte dans l’étude des disciplines scientifiques :

 L’effort du philosophe pour suivre dans sa subtile complexité l’œuvre des hommes qui marchent en tête du corps d’exploration de la nature comporte un certain risque. « Celui qui veut savoir et non pas avoir l’air de savoir (remarque M. Émile Chartier) passera dix ans à la géométrie et à la mécanique, découvrant pour son compte toutes sortes de vérités connues, mais le vaniteux court au dernier mirage de la physique»

et certes on pourrait peut être nous reprocher d’être ici trop vaniteux, en courant au dernier mirage de « la physique des topoi » : encore faudrait il que cette dernière soit un mirage, ce qui n’est pas le cas, j’en suis absolument persuadé!

et puis cette hâte à nous promener dans le domaine si exquis des catégories et des topoi ne nous fait pas oublier les disciplines plus classiques, et notamment la mécanique, à laquelle nous avons déjà ici conscré un article, portant sur le livre de Painlevé : « Les axiomes de la mécanique » , en Octobre 2008 , intitulé « Genèse de la mécanique classique »:

http://sedenion.blogg.org/themes-mecanique-235632.html

D’ailleurs Brunschvicg , immédiatement après la mise en garde citée supra, ajoute ceci , pour préciser sa pensée :

Il conviendra de ne pas perdre de vue l’observation, et pourtant de ne pas s’en laisser intimider jusqu’à reculer devant une nécessité qui est inscrite dans la nature du monde. L’esprit souhaiterait sans doute que la science ne cessât de se développer en ligne droite à partir des propositions les plus claires et qu’elle pût se borner à tirer de principes incontestés des conséquences encore inaperçues sans avoir à modifier l’ordre des éléments. Seulement il est vrai qu’il n’en est pas ainsi : l’histoire de l’individu et l’histoire de l’espèce ne présentent pas le même rythme. Il est arrivé que chaque découverte décisive, non pas seulement en physique mais en mathématique, a provoqué un retour de réflexion qui a pour résultat de transformer le caractère des éléments et des principes, érigés précipitamment en réalités ultimes et en évidences absolues

Je voudrais pour ma part reprendre le mot d’Alain : Celui qui veut savoir et non pas avoir l’air de savoir passera dix ans à la géométrie et à la mécanique, découvrant pour son compte toutes sortes de vérités connues

d’une part pour indiquer que géométrie comme mécanique valent bien dix ans d’études, si ce n’est toute une vie, mais surtout pour souligner que celui qui les étudie, comme nous ici, dans une perspective philosophique, c’est à dire selon nous religieuse, et non pas simplement scientifique ou épistémologique, ne se borne pas à « découvrir des vérités connues »…. je veux dire par là que les « vérités » découvertes lors de l’approche philosophique ne se bornent pas aux purs et simples théorèmes de l’exposition scientifique.

Certes l’étude sérieuse de la mécanique, comme de toute discipline scientifique véritable, exige que l’on « mouille la chemise » en abordant les théorèmes et surtout leur démonstration, sans rechigner devant les aspects les plus « techniques ».

Car se borner à apprendre en vitesse quelques résultats scientifiques spectaculaires, en évitant soigneusement la difficulté de leur aspect mathématique et de l’étude de leurs preuves,  transforme la science en une nouvelle superstition : celle que l’on trouve dans les revues de vulgarisation, même sérieuses.

Mais l’approche philosophique diffère de l’approche scientifique en ce qu’elle la « redouble », en quelque sorte, dans une réflexion sur la réflexion, une pensée sur la pensée.

Les sciences (et donc les scientifiques) pensent, il n’y a là dessus aucun doute, et la position de Heidegger est à mon avis définitivement disqualifiée. Non seulement ils pensent, mais ils effectuent un travail extrêmement difficile, car ils sont en quelque sorte semblables (en tout cas pour les chercheurs théoriques de pointe) à ces pionniers qui explorent pour la première fois des régions inconnues avant eux.

La science pense, réfléchit (au moyen de la mathématisation) sur les phénomènes naturels, ce que Brunschvicg appelle le « choc de l’extériorité ».

La philosophie réfléchit sur la réflexion des sciences : second degré, redoublement. Elle est l’esprit réfléchissant sur lui même, sur son « aventure d’idées » dans la marche de la science, et à de titre, comme dit Brunschvicg dans la « Modalité du jugement », elle est connaissance intégrale.

Or c’est ici qu’une question lancinante se pose touchant à la nature des propositions scientifiques qui repose selon Popper et d’autres dans leur réfutabilité.

Car si les « vérités » de la physique d’il y a trois siècles, ou même d’il y a 50 ans, sont réfutables, cela veut dire qu’elles ne sont pas définitives, éternelles, qu’elles peuvent très bien s’effondrer. Et d’ailleurs, si la relativité aussi bien que la physique quantique doivent être remplacées par une future théorie qui permettra d’unifier toutes les interactions, le philosophe qui base ses conceptions sur les « vérités » provisoires de la physique actuelle ne bâtit il pas sur du sable ?

certes on peut répondre à ce genre d’objections au moyen de considérations épistémologiques sur la « convergence » des théories (vers la vérité) : ainsi la relativité d’Einstein ne renvoie t’elle pas la physique newtonnienne au placard des fausses théories, avec celle du phlogistique ou des livres d’alchimie : elle la complète, en ne la remettant enc cause que pour les vitesses proches de celle de la lumière. Par contre les lois de Newton restent valables pour les vitesses faibles par rapport à celle de la lumière, et d’ailleurs leur validité a encore été testée expérimentalement lors des expéditions luniares ou même des envois de satellites depuis 50 ans.

mais certaines écoles épistémologiques n’admettent pas la conception de la « convergence », aussi cette réponse ne saurait elle nous satisfaire…

et cela d’autant moins qu’elle se fonde sur un schéma réaliste de la nature de la vérité….

or, si ce que nous avons dit précédemment sur l’approche philosophique comme réflexion redoublée est juste, alors cette vision « réaliste » de la vérité, comme adéquation aux phénomènes mesurés, satisfaisante pour la science et même l’épistémologie , doit céder la place en ce qui concerne la vie spirituelle et religieuse à une conception idéaliste.

La Vérité n’est pas l’accumulation, même structurée dans des catégories ou autres , de « vérités » factuelles ou de théorèmes.

La Vérité n’est rien d’autre que l’ascension infinie de l’humanité, (envisagée idéalement comme communauté des sujets rationnels), vers l’Idéal de Pensée pure et infinie que nous nommons « Dieu ».

Et dans cette ascension, commencée certes dans le temps de l’histoire, chez Thalès, Platon et Archimède, puis chez Copernic, Galilée, Descartes et Spinoza, tous les « échelons », toutes les étapes sont « éternels ».

La différence avec les « initiations » telles qu’elles sont décrites et promises par les sociétés occultes ou « ésotériques » est que cette ascension n’est pas celle d’un individu ou d’un groupe restreint d’individus (les prétendus « initiés ») mais concerne toute l’humanité, même si dans sa plus grande partie elle n’en a que faire…telle est l’universalité dès le principe du Dieu des philosopphes et des savants, Dieu de la pensée pure et universelle, qui ne saurait souffrir qu’il y ait des groupes de « sauvés » ou d’élus et d’autres qui seraient « damnés » ou « simplement psychiques » ou « hyliques », par opposition aux « gnostiques ».

D’ailleurs, je demande que l’on réfléchisse : pourquoi voudriez vous vous sauver, ou vous initier « tout seul » ? pour jouir de quelle position d’exception ?

C’est ce que Brunschvicg veut dire quand il décrit le « Discours de la méthode » de Descartes comme premier traité historique de la seconde naissance, et, ajouterons nous, de l’Initiation…une inititation, une seconde naissance qui est celle de l’humanité entière, considérée certes en compréhension, et non en extension,mais entière tout de même…ce qui veut dire que les hommes de toutes les époques « naissent » une seconde fois , à l’Esprit, en 1637 avec la publication du « discours de la méthode », ou plutôt avec sa « pensée » par l’ homme Descartes , même s’ils sont morts il y a 30000 ans ! la vérité est « éternelle », elle est « Dieu » selon Spinoza dans le Court Traité… elle est « la nature » envisagée « sub specie eternitatis »…

Aussi la mécanique, pour ne parler ici que d’elle, est elle un acquis éternel de la pensée, de l’Esprit, dans son « itinéraire vers le Dieu des philosophes et des savants ».

Et c’est ici que le livre de Paul Painlevé permet de baliser précisément cette ascension spirituelle, en trois étapes : géométrie, statique et enfin dynamique.

Toutes les sciences, même les plus abstraites, comme l’arithmétique et l’analyse, ont une origine expérimentale.

Celle de l’arithmétique se trouve dans la notion de nombre, qui s’est formé en nous parce que nos sensations forment des groupes séparés;des êtres qui vivraient dans un milieu continu pour leur sens, n’auraient aucune idée d’unités disctinctes, ni par suite de nombre.

Les origines expérimentales de la géométrie se trouvent quant à elles dans nos contacts quotidiens avec les corps matériels solides; ses axiomes sur les figures invarialbes énoncent sous une forme épurée les propriétés de formes des solides matériels.

De même la mécanique porte sur le mouvement des corps, corps « fixés » abstraitement par la géométrie.

On s’explique alors facilement que le développement de la géométrie (euclidienne) ait précédé historiquement, de 20 siècles à peu près, celui de la mécanique en tant que science du muvement des corps (solides, puis liquides et gazeux dans la mécanique des fluides).

Selon l’éclairante formule de Painlevé : « de même que la Terre a une carcasse solide, notre conception de l’Univers a une ossature : la géométrie« .

Le mouvement est par nature changeant, presqu’insaisissable : il exige une technique expérimentale, pour les observations, puis un cadre rationnel d’analyse, permettant de déduire du phénomène intégral les chnagements élémentaires, infinitésimaux.

Loin de s’imposer à nos sens comme les propriétés des solides, les lois fondamentales du mouvement ne pouvaient être décelées que par une technique expérimentale et une mathématique déjà très élaborées.

Mais il faut aussi faire la différence, à l’intérieur du cadre conceptuel de la science appelée « mécanique », entre la science propre du mouvement, à savoir la dynamique, et la science de l’équilibre, la statique : les remarques ci dessus ne s’appliquent qu’à la dynamique, et c’est ce qui explique que la statique soit bien plus ancienne, remontant aux travaux d’Archimède.

Elle diffère cependant essentiellement de la géométrie : cette dernière étudie les propriétés des figures invariables formées par un ensemble de points, sans s’occuper des causes qui maintiennent cet équilibre, causes et conditions qui font le thème de la statique (théorie de l’équilibre du levier, hydrostatique chez Archimède, etc..).

La statique exige donc la géométrie, et ne pouvait être créée qu’après elle. Mais tant qu’lle reste isolée de la dynamique, elle est une science incomplète, une branche séparée du tronc. Ainsi l’hydrostatique archimédienne peut à la rigueur expliquer la forme générale des surfaces d’équilibre des océans, mais est incapable de rendre compte des perturbations périodiques, appelées marées, que subit cet équilibre.

C’est par l’ union de la statique et de la dynamique que la mécanique a pu jouer son rôle de science-guide de toutes les autres, ce qui correspond à l’étape « philosophique-scientifique » appelée mécanisme.

La mécanique moderne est née le jour où la méthode expérimentale de Galilée, lorsqu’il laissa tomber des balles de plombs ou d’autres corps du haut de la tour de Pise ou observa les mouvements de billes sur des plans inclinés, détrôna les méthodes a priori des scolastiques.

Encore faut il noter que l’expérience ne servait le plus souvent à Galilée que de confirmation de choses qu’il savait, ou pressentait,  déjà. La science moderne est certes issue de l’union du rationalisme mathématique et du dispositif expérimental, mais le premier possède un rôle prépondérant. Et les idées a priori des créateurs de la mécanique, et donc de la physique, moderne : Galilée, Kepler, Newton, ils les devaient aux modifications opérées par Copernic et son école au principe de l’inertie tel que le concevaient les scolastiques.

On comprend ainsi que le développement de la mécanique ait été si tardif, et une fois commencé si prodigieusement rapide; une fois assurée de son statut de science intégrale , elle ne pouvait que prendre le pas sur les autres « prétendues » sciences du Moyen age.

Et la mécanique est en quelque sorte le « type idéal » de toutes les sciences modernes, sur lequel elels doivent se modeler; de l’exactitude de ses axiomes dépend celle de toute science.

3 réflexions au sujet de « mécanique, statique, dynamique et géométrie »

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