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La théorie des topoi et la physique quantique

Voici un article clair de Cecilia Flori qui se présente sous la forme d’une « review », donc récapitulant plusieurs travaux et faisant le point sur la pertinence de la théorie des topoi pour la physique quantique :

http://arxiv.org/abs/1106.5660

autant donc commencer par là l’ascension de la montagne, gravir quelques premières pentes, quelques collines pour avoir un premier « panorama » … et après, mais après seulement passer aux travaux plus « substantiels », dont celui de Cecilia Flori :

http://arxiv.org/find/math-ph,math/1/au:+Flori_C/0/1/0/all/0/1

http://arxiv.org/pdf/1207.1744.pdf (206 pages !)

voici le point de départ de Badiou sur la théorie des topoi , qu’il oppose à celle des ensembles :

http://www.entretemps.asso.fr/Badiou/93-94.3.htm

« Factuellement, on peut penser que la théorie des catégories et des topos s’est présentée, tend à se présenter, comme un dispositif global qui serait une alternative à la théorie des ensembles, c’est-à-dire comme une autre manière de fixer le cadre général dans lequel se déploient les concepts de la mathématique, et par conséquent aussi comme une autre méthode d’exposition de la mathématique. Contradiction qui était au départ mon hypothèse.

Selon la méthode consistant à placer la philosophie sous condition de phénomènes de ce genre, de cette situation, la philosophie doit savoir ce qui est en jeu pour elle-même dans cette situation. Lorsque la philosophie se met sous condition de phénomènes scientifiques de ce type, elle ne se met pas sous condition des discours scientifiques, mais sous condition des événements scientifiques.

La thèse que j’ai été amené à soutenir, c’est qu’il ne s’agit pas de deux dispositifs concurrentiels du fondement de la mathématique. Du point de vue du philosophe, il apparaît qu’en réalité, il n’y a pas d’unité de plans entre les deux entreprises : elles ne sont pas deux stratégies pour fonder ou exposer les mathématiques. La visée propre de ces deux entreprises n’a pas la même assignation.

La théorie des ensembles est de l’ordre de la décision ontologique. C’est une véritable prescription décisoire quant à ce qu’est une pensée de l’être-en-tant-qu’être. La vocation immédiate de la théorie des ensembles est de décider un univers mathématique et de faire se mouvoir la pensée mathématique de l’intérieur de cet univers.

La théorie des topos est en réalité une théorie des possibles. C’est une description de possibilité. Son vecteur essentiel est de décrire ce que c’est qu’un univers possible, en retenant les prescriptions d’existence. La métaphore que j’utilise à cet égard est leibnizienne : l’entendement divin est composé de la totalité des univers possibles qui ne lui ek-sistent pas. Et Dieu crée un univers possible qu’il fulgure, selon la norme du meilleur univers possible (celui qui produit le maximum d’effets avec le minimum de causes). Donc, il y a la totalité virtuelle des univers dans l’entendement divin, et un univers qui existe, le meilleur.

On dira que la théorie des topos est la théorie de l’entendement divin, c’est-à-dire des univers possibles, et même de la classification des univers possibles, tandis que la théorie des ensembles est une décision d’univers. Elle en prescrit un, qu’elle crée, qu’elle fulgure. »

L’article de Cecilia Flori aborde la dimension philosophique de la théorie des topoi (2.2 et 3).

Chaque topos est un univers en ce sens qu’il vient avec une logique interne (intuitionniste) et un langage interne.

le principe de TOVARIANCE

Le mieux est de partir de ce papier, qui a le mérite d’être très clair et de ne pas requérir de connaissances techniques préalables :

The principle of general tovariance

http://www.math.ist.utl.pt/~xvi-iwgp/talks/KLandsman.pdf

Ainsi le principe de covariance cher à la relativité devient le principe de « tovariance » de la « toposophie » !

L’extrait en page 1 de l’article du livre de Disalle « Understanding space-time » est tout à fait louable et mérite d’être souligné, en ces temps de « tout à l’économique et à la profitabilité technicienne », et d’oubli concomitant de la réflexion méditante:

« These are the times at which philosophical analysis has become an unavoidable task of physics itself »

Ces « temps » sont notre époque. Et la mention de Smolin et de son livre « Three roads to quantum gravity »  à la page suivante est  tout à fait appropriée.

Smolin, ce grand physicien, qui demande dans son article sur l’héritage d’Einstein  : « where are the Einsteinians ? »:

http://www.logosjournal.com/issue_4.3/smolin.htm

 faisant ainsi allusion à l’obsession d’Einstein pour la réflexion sur les grands problèmes philosophiques, dans la lignée de Spinoza, à son refus de tout compromis intellectuel et à son honnêteté sans failles envers la vérité (il avait rejeté tout autant sa propre relativité restreeinte, très tôt, que certains aspects et interprétations philosophiques de la physique quantique ). Et aussi, voir la fin de l’article, à la difficulté qu’ il y a à emprunter de nouveau le « chemin d’Einstein », dont la moindre n’est pas qu’il faille bien connaitre les théories récentes de la physique, y compris leur aspect mathématique.

Dans son livre récent « The trouble with physics » (« Rien ne va plus en physique »), Smolin fixe pour tâche aux physiciens de l’avenir de résoudre cinq grands problèmes, dont l’un porte sur les « fondements philosophiques de la physique quantique », et sa jonction avec la relativité en une théorie plus vaste.

Lire là dessus cet article du blog Philoscience:

 http://philoscience.over-blog.com/article-6995523.html

Voici aussi un commentaire mesuré du livre de Smolin:

http://www.jp-petit.org/science/smolin/SmolinLivre.pdf

l’importance cruciale du livre de Smolin tient aussi à ce qu’il livre un diagnostic sans concession sur l’impasse de la physique des cordes, qui se traduit notamment par le fait qu’on ne décèle aucune avancée théorique depuis 25 ans (depuis la dernière grande avancée, celle du modèle standard des particules).

Même appréciation (est ce une coïncidence ?) dans le livre de Peter Woit, qui se présente lui même comme un mathématicien s’occupant de physique : « Not even wrong » (« Même pas fausse ») où la physique est renvoyée…dans ses cordes. Voir aussi son blog « Not even wrong » :

http://www.math.columbia.edu/~woit/wordpress/

qui complète le livre (qui est d’ailleurs largement commenté).

Mais Smolin, dans « Trouble with physics », fait seulement de brèves allusions à la physique mathématique des catégories et topoi. Il plaide pour sa propre apporche, qui est celle de la gravité quantique à boucles (« loop quantum gravity »). Or entre les deux voies de la théorie des cordes et de la gravité quantique à boucles, il semble bien, c’est l’objet du petit article de Landsman, que la théorie des topoi représente une troisième voie… ce qui ne serait après tout pas surprenant, puisque les topoi offrent tous un cadre pour la logique intuitionniste, où le « tiers exclus » est….exclus

Les topoi offrent à la fois une généralisation au cadre conceptuel ensembliste, puisque ce sont en gros des catégories où l’on peut faire toutes les manipulations usuelles de la catégorie Ens des ensembles (produit cartésien, exponentiation, ensemble des parties, etc…), et un cadre idoine pour penser plus profondément les bases logiques de la physique et des mathématiques (ce qui correspond au plus important des problèmes de Smolin, celui des fondements de la physique quantique…on sait que Feynman disait que « si vous comprenez quelque chose à la physique quantique, c’est que vous ne comprenez rien à la physique quantique » ….encore vaut il mieux affirmer cela que de dire comme Godard je crois : « si vous avez compris quelque chose à ce que je dis, c’est que je me suis mal exprimé »).

Les topoi permettent aussi de « relativiser » voire supprimer la « tension » entre commutativité (de la physique classique) et non-commutatitivté quantique , dans un sens bien précis que l’on va expliquer ici….

à lire aussi à propos de cet article : le blog « n category cafe »  :

http://golem.ph.utexas.edu/category/2007/12/the_principle_of_general_tovar.html

A noter que le papier « Principle of general tovariance » commenté sur le blog « n category cafe » est une version légèrement différente de celle donée ici, et plus complète :

http://www.math.uni-hamburg.de/home/schreiber/tovariance.pdf

Mais continuons avec notre version !

Principe de tovariance vs principe de covariance

le papier donne les définitions principales afférentes à la théorie des topoi, et des « morphismes géométriques » entre eux. On pourra trouver des informations plus complètes, quoiqu’aisées à lire, sur ce site :

http://topos-physics.org/topos

Le principe de tovariance s’énonce alors ainsi :

« Toute structure mathématique gouvernant les lois de la physique doit pouvoir être définie dans n’importe quel topos muni d’un objet des nombres naturels et doit être préservée par les morphismes géométriques »

Il répond au principe de covariance d’Einstein, qui mathématiquement correspond au cadre de la géométrie différentielle utilisé pour la relativité générale :

« les lois de la physiques doivent être covariantes pour des changements de corrodonnées arbitraires »

Les structures préservées par les « morphismes géométriques » entre topoi sont celles qui sont définies :

– par des symboles logiques Λ en nombre fini, V en nombre arbitraire, T (true), F (false), E (quantificateur existentiel)

-par des axiomes de forme : (x) : Φ(x) → Ψ(x) (où (x) veut dire : quelque soit x)

On montre alors (Mulvey) que les C*-algèbres (et les algèbres de Von Neumann), qui constituent le cadre mathématique de la probabilité quantique (« quantum probability theory », voir notamment l’ouvrage classique de P A Meyer chez Springer lecture notes)) obéissent au principe de tovariance.

Ce qui conduit au « nouveau principe d’équivalence », qui vient remplacer celui d’Einstein et celui de Bohr :

« toute C*-algèbre d’observables est équivalente à une C*-algèbre commutative »

La construction d’une C* algèbre commutative à partir d’une algèbre quelconque par le procédé d’abelianisation est sommairement expliquée dans le papier, procédé impliqué dans la théorie générale de Mulvey étendant la théorie de Gelfand à un topos arbitraire, on en trouvera une version complète ici :

http://www.sciencedirect.com/science?_ob=ArticleURL&_udi=B6TYB-4GHRBTK-3&_user=1947264&_rdoc=1&_fmt=&_orig=search&_sort=d&view=c&_acct=C000055519&_version=1&_urlVersion=0&_userid=1947264&md5=e69b103d8b9d04fb472fe3ce9594604b

http://www.maths.sussex.ac.uk/Staff/CJM/research/CJMResearch.htm

les exigences d’une philosophie de l’esprit

Les premières pages de « De la vraie et de la fausse conversion » :

http://classiques.uqac.ca/classiques/brunschvicg_leon/vraie_et_fausse_conversion/vraie_et_fausse_conversion.html

partent du constat  d’une aporie:

« En tête du premier numéro de la Revue de Métaphysique et de Morale, Darlu, à qui Xavier Léon avait naturellement confié la charge de définir l’inspiration de son entreprise, écrivait : « Le sol de la société paraît près de se soulever sous l’action de forces aveugles et terribles. Au milieu de ces inquiétudes, entre le positivisme courant qui s’arrête aux faits, et le mysticisme qui conduit aux superstitions, la lumière de la raison est aussi faible, aussi vacillante que jamais . »

Ces lignes avaient suscité la raillerie que l’on pouvait prévoir : comment, pour le redressement moral dont notre troisième République avait alors besoin, et qu’aussi bien, aujourd’hui même, ses dirigeants la condamnent à espérer encore, faire fond sur une lumière dont on commençait par avouer qu’il « est probablement impossible qu’elle éclaire le travail de la foule humaine » ? »

assez semblable à celle du platonisme, à laquelle s’est heurté Brunschvicg le platonicien :

http://mathesis.blogg.org/page-la_triple_impasse_du_platonisme-763.html

cette aporie peut sans doute se résoudre, comme le fait Brunschvicg, en distinguant entre une humanité en extension et en compréhension, et donc entre une philosophie de la vie, attentive à l’animal humain, et une philosophie de l’esprit :

« Les choses, à les prendre du dehors, ne paraissent guère avoir changé depuis 1893. Le sol de l’Europe s’est, en effet, soulevé dans une convulsion qui a porté le drame au paroxysme, du point de vue d’une philosophie de la vie, attentive à l’avenir de l’animal humain. Mais, pour une philosophie de l’esprit, qui considère avant tout l’être spécifiquement raisonnable, le centre de l’intérêt est ailleurs, non dans le spectacle d’une humanité envisagée en extension, mais dans l’idée de l’homme en compréhension. »

mais cette façon qu’a Brunschvicg de se « débarrasser » des problèmes de la matière et de la vie, et de ne considérer comme important que « notre rapport à l’Esprit », qui peut légitimement être source d’inquiétude , a scandalisé beaucoup de penseurs divers, aussi divers qu’un Nizan ou qu’un Robberechts :

http://www.blogg.org/blog-69347-billet-ludovic_robberechts___essai_sur_la_philosophie_reflexive-812916.html

quoiqu’il en soit, notre parti à nous est pris, et si l’on veut travailler à la compréhension de ce qui nous paraît être l’un des plus grands sages de l’époque , il convient de prendre les lignes qui suivent au sérieux :

« Or, entre le spectacle et l’idée, jamais le contraste n’a été plus frappant qu’à l’heure actuelle. La complexité du savoir, croissant en même temps que la restriction du loisir pour la réflexion, fait qu’un Cantor ou un Einstein a sans doute moins de contemporains que jadis un Descartes ou un Newton. La méditation du petit nombre des contemporains est aussi douloureuse, dans le domaine de la spéculation pure, qu’a pu l’être, durant le cours de la théologie chrétienne, la méditation du petit nombre des élus. Il est nécessaire, pourtant, de nous rendre compte que le problème de la pitié sur la foule ne doit pas être abordé en premier lieu pour se résoudre dans un mouvement d’impatience qu’on dirait généreux. Avant de savoir quelle chance la raison a d’assurer le succès de ses propres normes, d’instaurer l’unité du monde humain dans la paix et dans la liberté, il convient de travailler à mettre en évidence le jugement droit et ferme qu’elle est en état de porter sur le caractère de son progrès intrinsèque.

À cet égard, il est à présumer que les trente premières années du XXe siècle forment une époque favorable, puisqu’une rupture s’y est produite, qui promet d’être décisive, avec cet amalgame de scolastique et de romantisme qui, naguère encore, se décorait du nom de philosophie de la nature ou de philosophie de l’histoire. D’une part, des théories telles que celle des ensembles ou celles de la relativité ont dégagé, ce qu’aucune spéculation a priori n’avait le moyen de prévoir, le processus défini d’intelligence auquel répondent, dans la réalité des choses, les notions fondamentales de nombre, d’espace ou de temps. D’autre part, les travaux des ethnographes, en heureuse concordance avec les découvertes de la préhistoire et de la protohistoire, reliés aux recherches de la pathologie mentale et de la psychologie infantile, nous ont amenés à résoudre dans son exacte perspective la tradition du sens commun. »

pour le problème du rapport à l’Esprit de l’humanité « en compréhension », l’examen des avancées de la science (et ceci veut dire, pour ceux qui se débarrassent des problèmes de la vie : mathématique et physique) tient la place principale.

Or « après » la relativité, vient la physique quantique, que Brunschvicg a pu connaître, puisqu’il a vécu 19 ans après 1925.

Mais en mathématiques, « après » la théorie des ensembles vient celle des catégories, qui naît en 1945, après sa mort donc.

Et nous avons donc là une tâche (immense) toute tracée et définie, d’autant plus que les connexions de la nouvelle théorie des topoi avec la physique sont évidentes, depuis une dizaine d’années en tout cas.